Je viens de lire mais j’ai pas le temps d’écrire…

« La filière afghane » de Pierre Pouchairet (Jigal) **

Un très bon polar qui va de Nice à Kaboul, de dealers aux terroristes.

« La dernière fugitive » de Tracy Chevalier (Folio) ****

Magnifique roman de l’Amérique et de l’esclavagisme.

« Les vrais durs meurent aussi » de Maurice Gouiran (Jigal) **

Excellent polar avec comme toiles de fonds la 2ème guerre mondiale, l’Indochine.

« Après la guerre » de Hervé Le Corre (Payot) ****

Superbe polar à Bordeaux après guerre où les collabos font encore leurs lois.

« Vivre cent jours en un » de Philippe Broussard (Stock) **

Pour les fans (comme moi) de Billie Holiday.

« Swan Peak » de James Lee Burke (Rivages) ***

Magnifique et tendu.

Swan Peak de James Lee Burke

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Autant vous prévenir j’ai adoré lire ce livre.
L’écriture de Burke et sa traduction ont tout pour nous plaire.
La description des paysages lumineux du Montana et des sombres personnages est un plaisir à lire.
L’intrigue angoissante nous tient aux aguets jusqu’au bout.

Et dire que Dave Robicheaux, en congé de ses fonctions de shérif adjoint de New Iberia, venait pêcher, tranquille, avec sa femme, Molly, et son ami Clete Purcel.

Et voilà que les ennuis ne font que commencer.
Deux jeunes étudiants sont retrouvés morts atrocement mutilés.
Et l’auteur va nous défiler le fil d’histoires hantées de passés, de survies et de rédemption.

Et c’est parti pour un polar (teinté au thriller) palpitant, difficile à lâcher.

Je n’avais pas trop accroché ses précédents romans mais celui-là m’a bien tenu en laisse pendant plusieurs nuits de lecture.

Chaudement recommandé !

Bohemian Flats de M R Ellis

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C’est une saga familiale qui couvre plusieurs décennies.
Celle de la famille Kaufmann.
Des allemands qui vont émigrer vers l’Amérique.
Et nous allons les suivre de 1881 à 1968.

Banlieue de Minneapolis au bord du Mississippi : les quartiers de Bohemian Flats. Lieu d’accueil misérable des immigrés tchèques, suédois, irlandais…le Melting pot américain se fabrique sous nos yeux dans des baraques en bois brinquebalantes.

C’est une partie de la mémoire des Etats-Unis que nous conte Ellis.
Je retrouve tout le talent de cet auteur que j’avais déjà beaucoup aimé dans son « Wisconsin ».

Ellis sait magnifiquement nous raconter l’Amérique.

« Et puis il y avait le Mississippi, ses offrandes et ses débordements, fleuve
qui les comblait et les maudissait comme un dieu. Mais un dieu qu’ils comprenaient, un dieu qui était là, à leurs pieds. »

Un goût de cannelle et d’espoir de Sarah McCoy

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C’est un beau roman, c’est une belle histoire, ils partirent vers l’Amérique…

Nous sommes en Allemagne durant l’hiver 1944.
Le régime nazi, à l’agonie, continue à déporter et à faire le mal.

Au 56 Ludwigstrasse à Garmisch la boulangerie Schmidt, malgré les restrictions, prépare Noël.

La jeune Elsie, 16 ans, va recueillir et cacher en secret un enfant juif en fuite.

Ses parents, sans adhérer au nazisme, restent des patriotes dévoués.
Sa sœur Anzel est partie volontaire au Lebensborn.
Le Lebensborn (Association de l’Allemagne nationale-socialiste, patronnée par l’État et gérée par la SS) une sorte de « crèche-bordel » pour officiers SS qui enfantaient des femmes pour sauvegarder la race aryenne.

Et c’est l’histoire de cette magnifique Elsie que va nous conter Sarah MacCoy.
La vie de cette femme héroïque va défiler au fil des pages sous nos yeux souvent embués d’émotion.
La guerre vue du côté allemand, l’exil en Amérique…

La littérature est «maîtresse des nuances» disait Barthes.
La littérature «s’embarrasse» de nuances.
Ne se sépare de personne.
Elle s’intéresse aux différences, aux subtiles différences, aux sensibles singularités.
Elle veut essayer de comprendre sans chercher à expliquer-démontrer. Juste raconter.

C’est tout simplement, tout magnifiquement ce que nous raconte ce livre.

Les ailes du sphinx et L’âge du doute d’Andréa Camilleri

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Deux Camilleri lus de suite.

Deux enquêtes du commissaire Montalbano dit le « dottori ».

« Les ailes du sphinx » et « L’âge du doute ».

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Le commissaire Montalbano est en Italie aussi vénéré que l’inspecteur Rébus de Ian Rankin en Ecosse.

Dans « Les ailes du sphinx » le « dottori » enquête sur une affaire de trafic de femmes en provenance de l’Est qui va jusqu’à viser les grands pontes de l’Eglise et de la politique.

Dans « L’âge du doute », le « dottori » accuse le coup : il se sent vieilli. Quand apparaît Laura Belladonna et ses illusions prometteuses. Une affaire de trafic de diamants à bord d’un yacht de luxe.

La langue de Camilleri, mélange d’italien et de sicilien traditionnel, accompagné de plats sicilien, est succulente à lire.
Un régal !
L’humour de Camilleri nous fait tordre de rire et l’on se voit au fil des pages rire à haute voix.

Les personnages, dits secondaires, le dottor Lactes, le questeur Bonetti-Alderrighi, Catarella, Mimi Auggello, Fazio, Enzo, Livia et bien d’autres vont revenir dans toutes les enquêtes de Montalbano et c’est avec un plaisir non dissimulé que nous allons les retrouver.

Des petits polars légers et ensoleillés à lire à l’ombre d’un été.
A déguster sans modération.
Vivement le prochain…

Frog Music de Emma Donoghue

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« Certains meurtres gagnent à n’être jamais élucidés, peut-être. Comme certaines cicatrices gagnent à rester dissimulées. »

Nous sommes à San Francisco en 1876. Une ville d’à peine trente ans d’âge.
Une ville toute neuve du bout de la conquête de l’ouest.
Une ville du Far West qui se met debout.

« Le rêve californien tourne court, pour la plupart de ceux qui ont réussi à arriver jusqu’ici…Des fortunes restent à bâtir, mais seuls ceux qui possèdent l’énergie nécessaire y parviendront… »

Une ville du bout du monde.

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L’été 1876. San Francisco meurt de chaleur et souffre d’une épidémie de variole.

L’été des lynchages de chinois de Chinatown. La variole c’est eux.

L’été de Blanche la française, danseuse au bordel de Sacramento Street, le « House of Mirrors ».
Et son Arthur…et son Ernest.

Des anciens artistes de cirque qui ont quitté la France pour se refaire une nouvelle vie. Un trio sans foi ni loi.

« Blanche est experte dans l’art d’aguicher. C’est une allumeuse, qui s’y entend comme personne pour faire naître une flamme, la moucher, la rallumer, la souffler à nouveau. »

Et les michetons sont prêts à payer très cher : le jeu en vaut la chandelle.

Le bonheur, presque, parfait.

Un enfant P’tit. L’enfant d’Arthur, le mac-aimé, et de Blanche. Abandonné dans une sorte de « ferme à bébés ».
Pourquoi s’encombrer d’un enfant ?
Le jeu, la danse, l’amour, la liberté n’a pas besoin d’un enfant dans les pattes.

Le bonheur…ou le semblant d’un bonheur.
Après tout ici à San Francisco rien n’est encore vraiment vrai.

Jusqu’au jour où Blanche va rencontrer Jenny la chasseuse de grenouilles habillée en pantalon.
Une sacrée originale celle-là. Une joyeuse emmerdeuse qui roule en Grand-bi un Colt dans la poche.
Sans foi ni toit.

Blanche et Jenny vont se lier d’amitié pour le meilleur et…le pire.

Qui a tué Jenny cette nuit au Eight Mile House près de la gare de San Miguel là où la ville de San Francisco « rend son dernier râle. »

Emma Donoghue va nous chanter une aventure romanesque envoûtante.
Nous plonger au cœur de la ville, aux chœurs des rues.

Et, chers lecteurs, pour notre plus grand plaisir.
Superbe !

« Oh, California,
That’s the land for me !
I’m bound for San Francisco
With my washbowl on my knee. »

Il était une rivière de Bonnie Jo Campbell

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Quel livre !
Un roman qui vous prend au corps et au cœur.
Qui vous tient sans jamais vous lâcher, sans jamais vous lasser.

« La Stark affluait dans le méandre à Murrayville comme le sang dans le cœur de Margo Crane. »

Difficile de critiquer ce livre tant l’émotion demeure intacte. Longtemps après encore.

Nous voilà dans le Michigan des années soixante-dix.
Murrayville est une cité ouvrière qui vivote près du lac Michigan.
Ici la famille Murray domine son petit monde de père en fils.

La jeune adolescente Margo aime chasser, pêcher, se baigner dans la rivière Stark et sait tirer à la carabine comme personne.
Comme Annie Oakley, figure légendaire de l’ouest américain.

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Margo sait vivre avec la rivière comme son grand-père lui a appris.

Sa mère a abandonné mari et fille pour fuir la rivière et ses secrets.
Margo est élevée par son père.
Quand son père est abattu par un Murray…

Margo va devoir survivre sur le fil de la vie…au fil de l’eau.
A la rencontre de grands hommes et de salauds.

La vie comme un voyage.

Margo va grandir en suivant la rivière.
Une rivière où se noyer, une rivière où renaître.

Ce livre est époustouflant de paysages, gonflé d’émotions et baigné de sagesse et d’espoir.

Un hymne à la liberté.
Inoubliable Margo.

A lire d’urgence !
C’est un ordre !

Apathy for the Devil de Nick Kent

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Huit années qui ont marqué l’histoire du rock.
De 1970 à 1978.
Des Beatles et des Stones jusqu’au punk en passant par le progressif, le glam et le pub rock.
Les meilleures années ?
A mon humble avis : OUI !

Nick Kent, jeune journaliste au New Musical Express, nous raconte l’épopée du rock.

Sex, Drugs and Rock’n’Roll.

Si cette époque nous a légué des joyaux musicaux c’est au prix de vies humaines : Janis Joplin, Jim Morrison, Jimy Hendrix et de nombreux autres musicos plus ou moins connus.
Cette période est celle des abus et à la lecture des témoignages et des anecdotes de Kent on se demande encore comment un Keith Richards, guitariste des Stones, a survécu.

Ce livre est incontournable pour revivre et comprendre le Swingin London, la naissance du punk.

C’est avec un plaisir non dissimulé que je lis la « réhabilitation » de groupes trop méconnus comme Roxy Music ou Can.

L’écriture de Nick Kent, teintée d’un humour corrosif et d’une auto-dérision émouvante contribue à rendre ce livre indispensable.

L’auteur lui-même se déclare comme un rescapé des seventies.

« Quand je me lève, je sais de nouveau qui je suis. Il fut un temps où je n’étais qu’un figurant de la nuit des morts élégants… »

A lire avec la bande son qui va avec proposée en annexe.

Jeudi noir de Michaël Mention

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Un exercice de style réussi. Une sacrée performance.
L’auteur a gagné son pari. J’applaudis haut et fort.

Je préviens d’emblée. Suis un (ancien) footeux et un (encore et toujours) amoureux du rock anglais. Et je me suis régalé.

Pour l’anecdote chaque chapitre est accompagné d’un titre de rock de circonstance : Brian Eno, Deep Purple, The Who, etc.
De quoi se mettre dans l’ambiance.

Alors faut-il avoir chaussé des crampons pour goûter ce livre ?
Faut-il avoir poussé du cuir sur le rectangle vert pour apprécier cette (presque) banale et insignifiante histoire de match de foot ?

Je ne crois pas. Et c’est là l’incroyable tour de force de l’auteur.

Nous y voilà. Nous sommes le jeudi 8 juillet 1982.
A Séville en Espagne. Demi-finale de la Coupe du Monde de football.
France-RFA.
Mitterrand est Président de notre République.
Le mur de Berlin n’est pas encore tombé.

Ce sera le match du siècle. Et son terrible « attentat » contre Patrick Battiston.

Michaël Mention nous en livre la retranscription romancée. Minute par minute. A la seconde près.
A travers le récit d’un joueur fictif nous (re)jouons le match.
Son personnage perd la boule au fil de ce match dramatique et se met à chercher un « collabo » parmi les onze joueurs français. Il va jusqu’à barrer des noms au fur et à mesure de leurs actions sur le terrain.
Soupçonner ses propres coéquipiers. Lui-même ne va t-il pas les trahir, changer de camp ?

Plus vivant que le direct télévisuel de Thierry Roland et Jean-Michel Larqué, les deux compères commentateurs sportifs furieusement énervés et vulgairement chauvins ce jour-là.

Impensable. J’étais sceptique. Je suis rentré sur la pelouse à reculons. Pas envie de rechausser mes crampons.
Pas envie de revivre le cauchemar. Pas envie de mouiller le maillot à lire un semblant de polar footballistique.
Et pourtant.
L’auteur a réussi à m’embarquer, sans me lâcher la main, page à page, mot à mot, jusqu’au coup de sifflet final.

Et pourtant j’avais déjà vu et revu ce fameux match.

Mais je vous avertis, chers lecteurs, ce livre est bien loin d’un mièvre article du célèbre journal sportif jaune, L’Equipe.
L’auteur nous parle, aussi (et surtout) de Lino Ventura, de la Bande à Baader, de la montée du Front National, de Patrick Dewaere…

Patrick Dewaere qui se suicidera 8 jours après cette demi-finale.

Comme pour un polar ne comptez pas sur moi pour vous divulguer la chute de l’intrigue…le score final.

Platini, Rocheteau, Giresse, Rummenigge, Breitner, Schumacher, Corver…qui sera le coupable ?

Ou le football comme une allégorie…à la vie…à la mort…
Une belle prolongation.

« Nous sommes devenus des bêtes…Plus jamais je n’ai retrouvé sur un terrain cette cruauté dont nous avons fait preuve. » Alain Giresse, milieu de terrain.

Voici le temps des assassins de Gilles Verdet

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« La poésie me volera ma mort. » René Char

Un bouquin qui commence par un citation du grand poète René Char ne peut pas être mauvais.
Impossible.

Et ce polar de Gilles Verdet n’est pas mauvais…loin de là. Surtout pas.
Il est même excellent.
Encore une belle récolte de chez JIGAL. Merci !
Un nouveau régal de JIGAL (slogan publicitaire).

Bon sang que ce Gilles Verdet aime les mots.
Villon, Ferré, Verlaine et Rimbaud sont à la fête et ça tourne comme un beau manège à chaque ligne.
Vertiges de l’amour.
Cher futur heureux lecteur, vous allez en prendre plein les mirettes.

Et le pompon c’est que le bouquin tient ses promesses jusqu’au dernier mot.
J’en redemande. Prêt pour un nouveau tour. Allez Verdet mets toi au boulot pour une nouvelle attraction. Je réserve déjà mon ticket.

« Le ciel de mai avait la couleur du plomb fondu. Le jour était sale. Et si bas qu’il avalait à demi le clocher de Saint-Germain-des-Près. »

Un braquage de bijouterie qui finit pas comme prévu.
Paul et Simon sont dans un bateau. Simon tombe à l’eau. Qui restera ?
Paul et ses fantômes d’amours perdus. Et sa Lyse bien aimée.

« Simon s’écroula en jurant. Il portait la main à son ventre. Là où coulait son sang frais. Une des ombres tenta de s’emparer du sac de joaillerie. Lui n’en finissait plus de jurer. Ca a dû énerver la flingueuse. Elle a fourré son arme dans la visière ouverte et tiré encore une fois, à bout portant, pour être sûre. »

Simon tombe.

Et Paul va se retrouver seul contre tous dans un Paris magnifié par Verdet.
Un régal vous dis-je.
Bienvenu au club des Vilains Bonshommes. Voici venu le temps des assassins.

«  Avant que le sommeil m’attrape, j’ai lorgné une dernière fois sur le mur pissotière. Mes arabesques humides avaient déjà séché comme des larmes inutiles. Sur le travers, à hauteur d’homme, un graffiti m’attira l’œil. Est-ce que c’était moi qui l’avais écrit ? J’avais beau lire et relire, je ne me souvenais plus de rien. Voici le temps des assassins. J’ai fermé les rideaux. »

La Commune de 1870 ressuscitée.
Rappelée au désordre.
Comme une revanche.
Une vengeance.
Les années soixante-dix et ses illusions libertaires. La révolution des esprits des simples d’esprit, « sincères, idéalistes mais cons, quoi ! »

Georges, Guillaume, Bernard, Pierrot, Simon et Paul.
Tous enfants rescapés d’un rêve perdu d’avance. Tous pères d’un cauchemar « aux yeux rieurs, aux cheveux noirs et longs… »

La Commune n’est pas morte. Elle revient comme un mauvais souvenir.

Et puis l’ombre de Mikhail Kalachnikov. Et puis le soleil de Jeannette.

Y’a tout ça dans le livre de Verdet et c’est beau.

«Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure »
(Guillaume Apollinaire)

Verdet nous montre le monde à l’envers.
« Le contrechamp des apparences ».

Et bien loin des faciles et factices clichés Verdet nous embarque dans son blues aux mots cadencés, fignolés au plaisir, ciselés au crochet.

Une sacrée belle partition aux noires inoubliables !

La dernière frontière de Howard Fast

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1878.

Les Indiens cheyennes, chassés de leurs Grandes Plaines, sont parqués dans l’Oklahoma.

Loin de leurs bisons ils vivotent dans cette région aride.

Vont-ils survivre encore longtemps ?

Mais en juillet 1878 c’est l’incident de Darlington.

Trois cents cheyennes, hommes, femmes et enfants décident de s’enfuir pour rejoindre leur terre sacrée des Black Hills.

Soldats et milice civile vont les poursuivre jusqu’à la frontière du Wyoming.

Un sacré bout de chemin.

Ce livre est émouvant à pleurer.

Un livre-hommage à cette nation qui veut vivre debout ou mourir debout.

Vous n’êtes pas prêts d’oublier les admirables Dog Soldiers.

Le dernier gardien d’Ellis Island de Gaëlle Josse

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Décidément j’adore tous les livres de Gaëlle Josse.

Aucun ne m’a déçu.

« Les heures silencieuses », « Nos vies désaccordées » et « Noces de neige ».

John Mitchell sera le dernier directeur du Centre d’Immigration d’Ellis Island à New-York dans le quartier de Manhattan à l’embouchure de l’Hudson.

La statue de la Liberté en vue.

John Mitchell va partir à la retraite. Il nous livre ses mémoires de gardien de l’île sous la forme d’un journal.

Ce Centre d’Immigration a fonctionné de 1892 à 1954.

Il a accueilli des millions d’immigrés.

Passeport pour l’Amérique…rêve ou cauchemar.

Rien qu’en 1917 les USA ont vu l’arrivée de 1 004 756 immigrants de toutes nationalités.

John Mitchell va nous raconter un pan de l’histoire des Etats-Unis.

Avec émotion et sensibilité.

Je vous en dis pas plus et je vous laisse découvrir ce bonheur de lecture en vous enviant déjà la première page.

Merci Gaëlle Josse pour ce magnifique roman bouleversant.

Lisez Gaëlle Josse…c’est un ordre !

Les lois de la frontière de Javier Cercas

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« Ecrire est plus facile que parler, parce que ce qu’on dit ne peut pas être corrigé, contrairement à ce qu’on écrit. »

Décidément j’aime de plus en plus cet auteur.

J’avais déjà adoré « A la vitesse de la lumière ».

Cet écrivain, Javier Cercas, est vraiment particulier, originaire de Gérone et fervent lecteur-admirateur de Jorge Luis Borges, son écriture singulière est reconnaissable entre toutes.

Nous sommes l’été 1978 dans un quartier populaire malfamé de Gérone.

Le fantôme de Franco hante encore et toujours l’Espagne.

Zarco et sa bande de petits loubards encore adolescents s’initient aux vols à la tire et autres méfaits minables.

Zarco. né dans une baraque, en maison de redressement à sept ans et en prison à quinze.

Un dur à cuire.

Zarco et son amie Tere comme des Bonnie and Clyde en devenir…

Tere, un tee-shirt blanc, un jean et son sac en bandoulière mais toujours très belle.

Canas, seize ans, lui vient de l’autre côté de la rivière : le quartier de la classe moyenne.

Surnommé le binoclard, mal dans sa peau, en mal de reconnaissance, il va faire la rencontre qui va changer sa vie pour…toujours.


Embrigadé par Zarco et amoureux de Tere.

Il devient un membre, à part, de cette bande de petites frappes.

De braquages en braquages, Zarco commence à faire parler de lui.

C’est l’escalade.

Il finira par se faire coincer.

« Ce que nous appelons le bien n’était pas le mal et ce que nous appelons le mal n’était pas le bien ? Êtes-vous sûr que le bien et le mal signifient les mêmes choses pour tout le monde ? »

Vingt ans plus tard le binoclard est un avocat célèbre à la réputation établie.

Personne, encore, ne sait qu’il était un voyou de la bande de Zarco.

« Dans ma jeunesse j’avais appartenu à la bande à Zarco, Tere et moi avions manipulé Maria pour qu’elle épouse Zarco afin qu’il puisse obtenir sa remise de peine en liberté… »

Il va défendre Zarco qui en a pris pour trente ans.

Pour racheter le grand délinquant, symbole de sa génération ?

Pour retrouver Tere qu’il n’a jamais oubliée ?

Une entreprise d’admiration ?

La légende de Zarco l’incorrigible est née. Un nouveau de Robin des Bois ?

Presqu’un mythe avec ses reportages sur Zarco, ses films sur Zarco, ses livres sur Zarco.

« Il est donc naturel que Zarco se soit transformé en hors-la-loi héroïque qui, pour les journalistes et même pour certains historiens, incarne la soif de liberté et les espoirs déçus des années héroïques du passage de la dictature à la démocratie en Espagne. »

Ce livre est triste et désespérant mais il est beau.

Le trio Zarco, Tere et le binoclard ne vous lâchera pas de sitôt.

Je les ai quittés avec regret.

Superbe roman !

(la couverture du livre est magnifique…à l’image du livre)

Retour à Little Wing de Nickolas Butler

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Little Wing. Petite ville du Wisconsin dans le Midwest américain.

Une rue principale, le bar des VFW, une fabrique abandonnée, des prairies à perte de vue et des fermiers.

Ici tout le monde connaît tout le monde.

C’est ici que sont nés Hank, Lee, Ronny et Kip.

Quatre copains pour la vie.

Hank le fermier, Lee la star du rock’n’roll, Ronny le roi du rodéo et Kip le courtier.

A l’occasion du mariage de Kip les quatre copains vont se retrouver. Retrouver leurs enfances complices, leurs beaux souvenirs.

Sans aucun relent nostalgique Nickolas Butler nous offre là un premier roman d’une sensibilité surprenante qui nous prend au cœur.

Il nous raconte une Amérique méconnue : tendre et fragile.

Un coup de cœur.

Au fil des pages nous allons vivre au jour le jour au rythme de Litlle Wing. Revivre le passé, les regrets, les amours enfouis et inavoués, les espoirs inassouvis. Rêver demain.

Un gros coup de cœur.

Et puis il y a Beth. La magnifique Beth.

« J’avais envie de l’embrasser et de tout arrêter : la musique, la danse, le flot de champagne. De dire à tout le monde, à toute l’assistance, que Beth et moi partagions quelque chose d’extraordinaire et de réel et que peut-être, peut-être, j’étais encore amoureux d’elle et elle de moi. »

Un gros, gros coup de cœur, vous dis-je.

Deep Winter de Samuel W Gailey

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Danny c’est un peu le benêt du village de Wyalusing en Pennsylvanie.

Tout le monde l’ignore ou le moque.

Seule Mindy serveuse dans un bar est gentille avec lui.

Pour l’anniversaire de Mindy, Danny a sculpté un petit oiseau en bois. Il a du talent pour ça et pour la gentillesse aussi.

Le soir où il va lui offrir son petit cadeau pour l’anniversaire de Mindy…tout va dérailler.

Il découvre le corps de Mindy sans vie atrocement mutilé.

L’adjoint du shérif Sokowski et son compère des mauvais coups, le soumis Carl rodent dans les parages.

Danny sera le coupable idéal.

Et c’est parti pour une chasse à l’homme palpitante et angoissante.

Le pauvre Danny se voit poursuivi par Sokowski, Carl, Lester le shérif, Taggart le policier d’Etat, les frères de Mindy.

Dans la forêt où Danny se réfugie, il va rencontrer une biche à trois pattes…

Superbe moment de lecture, traduction impeccable, ce thriller de Samuel W. Gailey fait mouche.

Un premier roman remarquable !

 

Un chien dans le moteur de Charles Portis

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« Norma, ma femme, s’était fait la malle avec Guy Dupree et je guettais l’arrivée des relevés de cartes de crédit qui me permettraient de savoir où ils étaient allés. »
Ray Midge, vingt-six ans d’âge, « glandeur » invétéré, son Colt Cobra planqué au fond de la glacière, part récupérer sa Ford Torino (à tout prix) et sa femme (éventuellement).

« Qu’est-ce que tout le monde cherche ? il a dit. Norma n’a pas hésité : elle a dit que tout le monde cherchait l’amour. »

Et c’est parti pour un « road-movie » rocambolesque et hilarant.

Charles Pontis, l’auteur, ancien journaliste à l’Herald Tribune, va nous bringuebaler sur des routes défoncées de l’Arkansas au Belize en passant par le Texas et le Mexique.

De crades motels en parcs à caravanes désertiques en passant par des bars plus que louches, Ray, dans une Buick déglinguée – la véritable héroïne du livre – part vers le Sud à la recherche du temps perdu.

« Les deux phares droits étaient pétés et la direction encore plus endommagée : il y avait maintenant presque un demi-tour de jeu dans le volant. La position de la barre transversale du volant était modifiée elle aussi, de l’horizontale elle était passée à la verticale, et ce nouvel alignement ne me permettait pas de positionner mes mains correctement. »

Ray, « looser » généreux, va rencontrer, pour notre plus grand bonheur de lecteur, des hippies débraillés, des évangélistes illuminés, un Docteur fou-dingue et j’en passe et des bien pires.

Ce roman nous trimbale à travers une Amérique cahotante, déboussolée en quête d’illusions perdues.
L’humour désabusé et pathétique de Pontis nous tient collés sur la banquette cramoisie par la chaleur du Sud jusqu’au bout de la route.
Pied au plancher, cœur soulevé-chahuté par les bosses de la vie.

« La glace avait fondu depuis belle lurette et le fromage et le salami étaient foutus. L’eau était marron à cause des languettes des canettes de bière qui avaient rouillé. Au fond de ce marécage, mon Colt Cobra ballottait dans son sac en plastique. »

Chaudement recommandé !
Bon voyage à vous…

Et rien d’autre de James Salter

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Philip Bowman, jeune homme trop pressé, s’est fixé deux objectifs : rencontrer l’amour et Hemingway.

Il voit l’avenir suivant ses propres rêves. Il rencontre Vivian. Se marie.
Mais déjà, «le même couple, le même lit, et pourtant ils n’étaient plus les mêmes.»
L’Amérique des années 50, l’Amérique d’après-guerre.
Les mêmes américains, le même pays et pourtant une Amérique qui n’était plus la même.
Un Amérique très (trop) pressée…et c’est magnifique !

Le livre de James Salter est un succulent cliché de l’Amérique.
L’auteur manie dialogues avec véracité et dextérité. Très vivant.
Les descriptions de «l’american way of life» sont un régal. Eloquent.
Une sorte de far-west : celle d’une génération désanchantée et désabusée. Une génération à l’ouest !
A la conquête des illusions perdues.
Décidément l’Histoire de cette jeune Amérique n’en finit pas de s’écrire.

Je conseille vivement cette lecture…et rien d’autre…
Une nouvelle découverte de l’Amérique.
Un livre fort et irrésitible…
Encore et encore…
Un 5 étoiles sur la bannière étoilée de la rentrée littéraire.

Tristesse de la terre de Eric Vuillard

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«Et, parfois, la scène semble exister davantage que le monde…»

C’est l’histoire de Buffalo Bill que nous raconte Eric Vuillard.
Avec talent comme souvent.
Celle du «Wild West Show» ou l’invention du show-business.
Avec son héros Buffalo Bill lui-même qui joue son propre rôle (lamentable légende vivante), un impresario plus que louche, de vrais indiens (avec le véritable Sitting Bull), huit cents personnes, cinq cents chevaux, des dizaines de bisons…
Une version revue et très corrigée de l’Histoire de la conquête de l’Ouest.
L’Amérique qui change de peau en ce début d’industrialisation en redemande. Elle a soif de son passé et faim d’avenir prometteur.

«La foule hurle, l’insulte. On crache. La voilà, la chose inouïe, le Peau-Rouge, celui qu’on est venu voir, la bête curieuse qui a rôdé autour de nos fermes…»
L’Amérique se donne des frissons.

Le show fera le tour du monde : Rome, Londres, Paris jusqu’à Nancy !
La grande parade, la comédie humaine jouée et rejouée.
Little Big Horn et Wounded Knee tournés en ridicule.

«Quelques Indiens à cheval tournent autour des rangers en criant comme Buffalo Bill leur a appris à le faire.
Ils font claquer leur paume sur leur bouche, whou! whou! whou! Et cela rend une sorte de cri sauvage, inhumain. Mais ce cri de guerre, ils ne l’ont poussé ni dans les Grandes Plaines ni au Canada, ni nulle part ailleurs, c’est une pure invention de Buffalo Bill.»

Mais bientôt le public va se lasser du spectacle.
Déjà pointent les nez illuminés des Luna Park et autres DisneyLand…
Les fanfaronnades de Bill Cody vont s’éteindre et tomber dans l’oubli.

Un livre émouvant. Un livre de révolte.
«La civilisation était devenue cela : un alliage impossible de nouveautés et de regrets.»

Le paradoxe du cerf-volant de Philippe Georget

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« On ne devient pas champion dans un gymnase. On devient champion grâce à ce qu’on ressent ; un désir, un rêve, une vision. » Mohammed Ali.

Pierre, 27 ans, boxeur, ancien champion de France et numéro 5 européen est dans une mauvaise passe.

« Enfant je m’endormais
Sur des K.O. de rêve
Et c’est moi qu’on soutient
Et c’est moi qu’on soulève » chante Nougaro.

Il sort d’un KO sur le ring, se met à boire et à fumer et surtout se retrouve mêlé dans une sombre histoire de meurtres.

Son vieux coach Emile voudrait bien le voir (dé)poser les gants, une sorte de retraite anticipée.

« Le Vieux ressemble à un père de famille veillant sur sa progéniture. Un père qui n’aurait eu que des fils. Ici, tout le monde se ressemble. Une dent cassée, un nez large et de guingois, des pommettes saillantes, des arcades gonflées : notre air de famille, on se l’est taillé nous-même, à grands coups de poings dans la gueule. »

Son pote de comptoir Sergueï va lui proposer un contrat ni catholique, ni orthodoxe.
Jouer les gros bras pour un certain Lazlo, croate plus que louche réfugié à Paris.
Le petit peu d’argent gagné comme barman chez ses amis Josy et René ne suffit plus. Alors oui pourquoi pas aller jouer le dur si c’est bien payé.

Sergeï, Lazlo, nous voilà plongés dans l’histoire sanguinaire et encore toute fraîche de l’ex- Yougoslavie.

Et quand Pierre apprend que son père, ambassadeur à Zagreb, décédé il y a plus d’une quinzaine d’années, serait impliqué dans cette zone d’ombres malfaisantes, il commence à sérieusement s’inquiéter.

Des légionnaires en cavale, des flics énigmatiques, des femmes mystérieuses : voilà de quoi vous tenir accrochés aux pages.

Le style généreux, chaleureux et émotif de Philippe Georget vous prend par la main et le cœur pour ne plus vous lâcher.

Ce Philipp Georget est un sentimental.

Pierre est un personnage attachant qui vous tient dans les cordes sensibles jusqu’à la fin du combat.
Les secondaires vont dévoiler leurs jeux de jambes, de poings et de cœur au fil des rounds. Des seconds couteaux…pas des jeunes premiers. Pas nés de la dernière pluie…à couteaux tirés.

« Je m’approche du grand mas perdu dans les vignes. Mes jambes tremblent.
Ce n’est pas la fatigue.
Ce n’est pas le froid.
Ce n’est pas le vent. »

Ce sont les terribles fantômes du passé…

Un polar prenant, emballant. Une belle découverte.
En 12 rounds passionnants.

 

 

L’hiver des enfants volés de Maurice Gouiran

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« Même s’il fait référence à des événements historiques, ce roman est une fiction. »

Gouiran nous plonge dans le scandale des bébés volés du franquisme.

“Veiller sur toutes les femmes qui ont fait un faux pas et souhaitent retrouver leur dignité”, qu’ils disaient les fachos de Franco avec la complicité de l’Eglise espagnole. Quand le sabre et le goupillon se donne la main.
Purifier la race, rééduquer la mauvaise graine, le fameux gène « rouge » et confier les bébés volés à des familles proches du régime, à l’aristocratie espagnole.

« Les relations intimes existant entre le marxisme et l’infériorité mentale sont évidentes et concluent, sur base de ce postulat, que la mise à l’écart des sujets, dès l’enfance, pourrait affranchir la société de cette idéologie… »
Dr Antonio Vallejo Nágera, médecin psychiatre et franquiste.

Franco et ses sbires, l’Eglise, ses soeurs et ses curés mains dans la main, copains-copains comme « cochons ».
Retenez bien ça, cher lecteur, la glaive et la croix complices de crimes contre l’humanité.
L’Inquisition, Les Croisades, la Guerre d’Espagne, les massacres au Liban, la dictature en Argentine, les tueries du Rwanda, j’en passe et des bien pires…

Clovis, journaliste sans frontière, coule une retraite paisible.
Quand Samia frappe à sa porte : son ami François a disparu.

« Elle avait défait son manteau et pris place sur le canapé de cuir défoncé, là même où j’avais fait l’amour à des filles que je n’avais jamais vraiment aimées. Tandis qu’elle…Elle avait hanté mes nuits et attisé mon désir sans que j’ose effleurer, ne serait-ce qu’une fois, son cou de mes lèvres. »

Samia et François, lui aussi un ancien journaliste, ami de Clovis. Samia et François, ça dure depuis plus de trente ans. Eux aussi se la coulent douce dans le marais poitevin près de Niort.

Clovis et François, deux amis rebelles à l’information officielle , à la recherche de la vérité à travers le monde.
Samia, rescapée des massacres de Sabra et Chatilla, a choisi François.

François a disparu. Il enquêtait en Espagne sur ces enlèvements. Une horreur où se mêlent, se mouillent gynécologues, avocats, médecins, prêtres et religieuses.

Carmen a été internée en 1981. Elle n’a pas oublié l’infirmerie où étaient emmenés les bébés malades. “Certains ne redescendaient jamais. Je me souviens qu’on disait aux mères qu’ils étaient morts, mais une rumeur circulait selon laquelle des familles d’adoption les avaient emmenés. Je ne laissais pas ma fille seule une minute, j’étais paniquée à l’idée qu’elle tombe malade et que je la perde.”
On estime aujourd’hui le nombre d’enfants volés à plus de 300 000.

Clovis va reprendre du service et partir à Barcelone à la recherche de François.
Et il va mettre les pieds dans un plat pas très, hum, comment dire, pas très catholique.

Le trio, Samia, François, Clovis, peint par Gouiran est un régal nourri d’amitié, de blessures et de regrets.
Le dessin de Barcelone esquissé par Gouiran est un modèle d’amour pour cette ville qui fleure bon l’anarchisme.

« Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent
La plupart Espagnols allez savoir pourquoi
Faut croire qu’en Espagne on ne les comprend pas » chantait Léo Ferré.

La très recommandable maison d’Edition Jigal nous offre là, encore, un polar frappant fort au cœur et au corps qui sait avec habileté mêler des destins personnels et la Grande Histoire, celle qui tue dans la plus honteuse des légalités, celle que l’on ne devrait jamais oublié, celle qui devrait nous servir de leçon.
Frère lecteur, n’oublions pas notre sombre passé pour éviter le noir à venir, le terrible avenir.

« Tu sais, on sera jugé non pas sur ce que nous avons fait, non pas sur ce que nous n’avons pas fait, mais bien sur ce que nous aurions dû faire. »

Eteignez votre télé, nom de Dieu et lisez ce bon, ce très bon Gouiran !

Une vie entre deux océans de M.L. Stedman

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«Les océans n’ont pas de limites. Ils ne connaissent ni début ni fin. Le vent ne s’arrête jamais. Il lui arrive de disparaître, mais uniquement pour reprendre des forces ailleurs, et il revient se jeter contre l’île, comme pour signifier quelque chose…»

«Une vie entre deux océans» est le premier roman de l’australienne M.L. Stedman.
Et là, livre fini, fermé, encore tout chaud entre mes mains tremblantes d’exaltation, les bras ballants d’émotion, les yeux embués de larmes, je dis bravo et merci pour ce grand, très grand moment de lecture.

Quelle histoire ! Mais quelle histoire !
Tom Sherbourne est de retour de la guerre des tranchées. La tête encore envahie de cauchemars.
Il rentre en Australie.
Tom est gardien de phare sur l’île sauvage de Janus.
Loin de tout.
Il vit des jours paisibles, rythmés par les marées et les tempêtes, avec sa femme Isabel.
Isabel subit, coup sur coup, deux interruptions de grossesse.
Puis accouche d’un enfant mort-né.

Quand échoue sur une plage de l’île de Janus une petite barque…
A son bord un homme mort et un bébé sain et sauf.
Une petite fille.

Voilà le début de l’histoire.
De quoi imaginer le meilleur…comme le pire…
«Ici, l’existence se déroule sur une échelle de géants; les rochers, qui, de loin, ressemblent à des dés jetés contre les côtes, sont des blocs larges de plusieurs dizaines de mètres, léchés par les vagues depuis des millénaires, projetés les uns contre les autres jusqu’à s’entasser en une pile verticale.»

Frère lecteur, je ne vais pas aller plus loin.
Je vous abandonne ici. Et je vous souhaite un bon voyage en Australie.

Ce livre me rappelle le magnifique et envoûtant (et trop méconnu) «Le gardien du feu» de Anatole Le Braz.
« Lorsqu’on la contemple en toute sécurité de la chambre d’un phare ou de la maisonnette blanche d’un sémaphore, comme cela, oui, je comprends la mer. Autrement, non ! Paradis des hommes, mais enfer des femmes !….» écrivait Le Braz.

Préparez vos mouchoirs…
Un gros coup de coeur pour moi !

«Bientôt, les jours se refermeront sur leurs existences, l’herbe poussera sur leurs tombes, jusqu’à ce que leur histoire se résume à quelques mots gravés sur une stèle que l’on ne vient jamais voir.»

L’éveil de Mademoiselle Prim de N. Sanmartin Fenollera

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Le bonheur est dans le pré.

Un roman optimiste : une denrée rare.
Alors faut pas se priver, pas hésiter : servez-vous une tasse de «L’éveil de mademoiselle Prim», vous verrez ça fait du bien.

A Saint-Irénée d’Arnois (c’est où ça ?) vit une étrange communauté : des hors-la-loi romantiques.
Un village tranquille et cultivé qui cultive le bonheur comme d’autres cultivent du maïs transgénique.
Loin des éxubérantes mégalopoles.
Ses habitants, tous plus originaux les uns que les autres, ont fui les villes hostiles.
Ils veulent «protéger leurs enfants de l’influence du monde, revenir à la pureté des moeurs, retrouver la splendeur de l’ancienne culture.»

Une secte ? Des nouveaus Amish ? Des bobos ? Des illuminés ?

Point de tout cela cher lecteur impatient et curieux, vous le saurez en lisant ce livre qui se déguste comme une bonne truffe au chocolat.

Et c’est dans cet étonnant village que va «atterrir» Mademoiselle Prudence Prim pour un poste de bibliothécaire auprès d’un énigmatique monsieur, «l’homme du fauteuil» (on ne connaitra jamais son nom), une sorte de gentleman «à l’ancienne».

Ici les enfants se prénomment Téséris, Deka, Eksi ou Septimus. Ils ne sont jamais allés à l’école mais connaissent sur le bout des doigts le latin et le grec, lisent Saint Augustin et Virgile.
Ils pratiquent l’escrime et respectent les codes de la chevalerie.

Un paradis perdu, une fable, une bluette insignifiante, un premier roman très original que j’ai lu avec un grand plaisir.

Ce roman est un petit bonheur de lecture, bavard et confortable, hors du temps. A découvrir !

Vivement conseillé avec la tasse de thé et le feu de cheminée qui vont avec !

« Malgré le chaos que vous voyez dans ma bibliothèque (…) il n’y a pas une seule virgule improvisée dans l’éducation des enfants. Ni aucun des livres qui leur passent entre les mains qui ne soient auparavant passé entre les miennes. Ce n’est pas un hasard s’ils ont lu Carroll avant Dickens et celui-ci avant Homère. Il n’y a rien de fortuit dans le fait qu’ils aient appris à rimer avec Stevenson avant d’arriver à Tennyson, ni qu’ils soient arrivés à Tennyson avant d’en venir à Virgile. Ils ont connu Blanche-Neige, Pierrot le Lapin et les enfants perdus avant Oliver Twist, Gulliver et Robinson Crusoé, et ceux-ci avant Ulysse, don Quichotte, Faust ou le roi Lear. Et ils l’ont fait dans cet ordre parce que je l’ai voulu ainsi. Ils grandissent avec de bonnes lectures avant d’être capables d’assimiler ensuite de grandes lectures. »

Pietra Viva de Léonor de Récondo

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«Ne regardez pas mon visage, il est laid. regardez plutôt mes mains ! Elles sont si puissantes qu’elles façonnent la réalité, qu’elles donnent vie à la pierre.»

1505.
Michelangelo quitte Rome pour le village de Carrare.
Il doit construire un caveau : commande du Pape Jules II.
Trente ans, l’artiste solitaire a déjà sculpté sa Piéta.
Il va vivre, revivre, survivre les souvenirs dans ce village montagneux de Carrare.
Carrare, le village des carrières de marbre, des tailleurs de pierres.

« J’ai vu un ange dans le marbre et j’ai seulement ciselé jusqu’à l’en libérer. » Michelangelo.

Michelangelo vient de découvrir le corps sans vie d’Andrea, un jeune moine.
Une mort mystérieuse.

Cher lecteur, Léonor de Recondo nous plonge dans l’Italie du XVI ème siècle en compagnie du génial Michelangelo.
Rien que ça !
Un cadeau de lecture !
Un voyage lumineux et poétique. Un roman magnifique sur la vie et la mort. Sur l’art éphémère et…éternel.

L’écriture musicale de Léonor de Récondo, touches d’émotions, régale à la lecture. L’auteure n’est pas musicienne pour rien !

«Dans une pierre vive
L’art veut que pour toujours
Y vive le visage de l’aimée.»
Michelangelo Buonarroti.

Clichy de Vincent Jolit

clichy-vincent-jolit-9782732460260« Pour Aimée, le texte qu’elle a sous les yeux n’est pas français. Ou alors, si, du français comme l’écrivent les enfants: ponctuation aléatoire, excitation improbable, enchaînement incohérent.»

1929 à Paris.
«Paris et ses monuments, l’émerveillement des grandes avenues, la majesté de la tour Eiffel, la douceur des parcs, le bruit réconfortant des bistrots.»

1929 à Clichy.
«Clichy, à cette époque, on ne sait pas trop ce que c’est. Plus vraiment la campagne, pas encore Paris. Une ville poisseuse, grise et humide. Déjà l’endroit où la capitale déverse ses déchets et ses indésirables.»

1929. La Grande Guerre se cicatrise…en attendant la prochaine…

Aimée est secrétaire au dispensaire du 10, rue Fanny, à Clichy.
Dispensaire d’hygiène sociale où l’on soigne toute la misère du monde.

Habillé de tricots mangés par les mites, pouilleux comme ses malades, un certain Louis Ferdinand Céline reçoit les tuberculeux et autres syphilitiques. Un médecin des pauvres.

Aimée, fille unique de bretons émigrés à Paris.
Aimée, on pourrait l’oublier.

Céline écrit son «Voyage au bout de la nuit.»
Céline, on ne l’oubliera pas.

L’écrivain propose à Aimée de dactylographier son premier roman.
Céline lui apporte ses brouillons dans une brouette.
Aimée sera donc la première lectrice de ce roman qui va révolutionner la littérature.
Aimée choquée, dégoûtée par ce style anarchique, ces expressions vulgaires, ces personnages lubriques.

Cette Aimée est très attachante. La troublante relation qui, petit à petit, s’installe entre Aimée et Louis est touchante à lire.

J’ai trouvé ce livre vraiment agréable. Un très bon moment de lecture, c’est déjà beaucoup non ?

Vincent Jolit est né en 1978 à Hyères dans le Var. Après l’obtention de son DEA de Lettres modernes consacré à l’intertextualité romanesque, il devient bibliothécaire à la médiathèque de Hyères. Il vit actuellement à Toulon.

«Clichy» est son premier roman. Et là je dis : «Bravo et merci !»

«L’originalité est très peu de chose. C’est plutôt une petite technique, nouvelle, par exemple comme le crawl à la place de la brasse…» (Céline)
Le style de Céline invente un crawl littéraire.

Mon cabinet de culture de Guy Solenn

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Vous voulez vous muscler le cerveau pour pouvoir rouler des méninges, gonfler vos neurones au salon où l’on cause et ainsi briller, jusqu’à l’aveuglement, d’intelligence comme un luisant culturiste ?

«En matière de culture, je fais mon marché tout seul. Je suis le terrain, je sais ce qui pousse.» disait le cher et regretté Topor.

Alors moi aussi j’ai fait mon petit marché et j’ai trouvé ce petit livre qui m’a fait de l’oeil sur les étals de ma librairie préférée.

Ce livre s’inspire des cabinets de curiosités chers à la Renaissance : un incroyable bric-à-brac de savoirs, d’extraits de textes classiques et d’informations insolites, plus ou moins utiles.

Un livre à feuilleter dans tous les sens, à lire au gré des pages.

Découpé en chapitres : curiosités du monde et de la nature, constructions et architecture, médecine et anatomie, grands procés et grandes lois, hauts personnages, monde animal, ce livre parle de tout et de rien.

Encore un livre pour les curieux. Les curieux de tout et de rien.

Cher lecteur, savez-vous que le réalisateur et cinéaste David Lynch collectionne les chewing-gums mâchés par ses amis ?

Ami lecteur, savez-vous qu’Aristarque de Samos avait inventé l’héliocentrisme dix-huit siècles avant Copernic ?

Frère lecteur, savez-vous d’où vient l’expression «jeudi noir» ?

Camarade lecteur, connaissez-vous les dix commandements sur le bout des doigts ?

Curieux lecteur, savez-vous qu’une chevelure humaine compte 250 cheveux par cm2 ?

Bien aimé lecteur, savez-vous que Rimbaud avait laissé un graffiti sur les ruines du temple de Louxor ?

Compère lecteur, connaissez-vous l’origine du mot «jean» ?

Voilà, voilà.
Je vous avais prévenus, fidèles lecteurs, ce livre est un réjouissant capharnaüm !

De quoi combler vos moments perdus…

Un livre à offrir peut-être ?

La confrérie des chasseurs de livres de Raphaël Jerusalmy

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Un titre accrocheur, une image de couverture attirante, un héros nommé François Villon, une intrigue rebondissante, des escarmouches «en veux-tu en voilà», des contrées magiques à visiter, voilà de quoi alpaguer le chaland qui hante les librairies à la recherche de dépaysement.

Un livre d’aventures, c’est toujours bon à prendre !

Le poète-brigand auteur de la célèbre «Ballade des pendus», François Villon, se retrouve, en échange de sa liberté, compromis dans un obscur complot qui va nous mener jusqu’à Jérusalem.

Raphaël Jérusalmy invente un chemin romanesque là où se perdent les traces de François Villon.

«Le 5 janvier 1463, le Parlement casse le jugement et le bannit de Paris. Nul ne sait ce qu’il advint de lui par la suite.»
Il a trente-deux ans.

Et nous voilà transportés dans le Paris du XVème siècle, la France de Louis XI.
C’est le temps des premières imprimeries de Mayence, de la sainte Inquisition, des premiers écrits réformistes rédigés par un obscur curé de la Forêt Noire, d’une Jérusalem mystérieuse et ténébreuse dominée par un gouverneur mamelouk.

Amoureux des livres, ce roman est fait pour vous !

Promis, vous allez palpiter au fil des pages dans le monde secret de la Confrérie des chasseurs de livres.
Promis, juré, vous allez vibrer dans le monde tumultueux de l’histoire des idées.
Promis, juré, craché, vous alllez frémir auprès des hérétiques, des alchimistes, des savants, des imprimeurs clandestins, des Coquillards et des moines copistes.

Ce roman a un petit air de «Angélique Marquise des Anges» et de «Au nom de la Rose».
Un très bon moment de lecture, c’est déjà beaucoup, non ?

Je vous conseille de lire ce livre accompagné du superbe «Quattrocento» de Stephen Greenblatt, l’histoire de Le Pogge, un humaniste florentin qui, en 1417, découvre un manuscrit perdu qui changera le cours de l’Histoire.

«Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!»

La ballade des pendus de Villon

Secrets d’Histoire de Stéphane Bern

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J’ai testé pour vous, rien que pour vous, frères lecteurs, un Stéphane Bern. Oui vous m’avez bien lu : un Bern !
Non, ne me dites pas merci, ça m’a fait plaisir.

Jamais vu l’énergumène à la télé. Je ne regarde jamais la télé. Et puis tiens tant que j’y suis j’en profite pour en rajouter une couche, vous marteler encore et encore : éteignez votre télé et allumez vos lampes de chevet pour lire, lire et encore lire, ça vaudra mieux !
Bon ça c’est dit !

Revenons-en à notre mouton frisé de Stéphane Bern.
Ses «Secrets d’Histoire» (titre d’une émission hebdomadaire sur France 2 animée par l’animal lui-même, oui bon, je l’ai déjà dit, éteignez votre télé) contient quatre tomes.
J’ai donc commencé par le premier.
J’aime bien qu’on me raconte des histoires. Les petites histoires de la grande Histoire.

«Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où étaient les véritables causes des événements.» écrivait Balzac.

Et bien j’avoue, devant vous, oui j’avoue sans honte aucune, ce Stéphane Bern sait bien raconter les histoires.
Dans un beau livre, richement illustré, impeccablement mis en page, il nous mène en bateau sur les flots passionnants de l’Histoire sans jamais nous noyer dans l’ennui.

Un beau voyage, ma foi.

Et puis je signe des deux mains sa préface : «Certes l’Histoire, si elle ne se répète pas toujours, éclaire le présent et l’avenir. Elle constitue le socle de notre nation, un trésor et un patrimoine communs qui confèrent à chacun d’entre nous, quelle que soit son origine sociale, religieuse ou ethnique, ce sentiment d’appartenance à un même peuple. Mes ancêtres n’étaient pas gaulois, loin s’en faut, mais l’étude passionnée de l’Histoire de France m’a permis d’aimer ce pays qui m’a vu naître et que mes grands-parents avaient choisi : l’histoire comme le langue et la culture sont de merveilleux vecteurs d’intégration.»
Bien dit !

Un peuple qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va.

C’est ce que soutient aussi Finkielkraut dans son nouvel essai
«L’identité malheureuse». Un Finkielkraut incompris, survolé, traité de réactionnaire et de raciste par la nouvelle Inquisition des médias autorisés, lynché par les gardes-chiourme du «bien penser», un Finkielkraut, dis-je, qui ne dit que ça.
Oui, un peuple qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va.
Bon passons et revenons à notre mouton bouclé.

Stéphane Bern, sous l’égide d’éminents historiens (tout de même, ses histoires ne sont pas des bobards), nous conte Marie-Antoinette et Cléopâtre, Charlotte Corday et Marie Stuart, Henri VIII et Louis II de Bavière, Robin des Bois et le chevalier d’Eon.
Entre autres.
Chaque personnage historique est esquissé d’anecdotes de quelques trois ou quatre pages, ni plus, ni moins, juste le temps de nous donner envie d’en savoir davantage.

Un livre qui rend curieux est forcément un bon livre !

Je crois bien que je vais commander les trois tomes suivants au Père Noël.

Testé et approuvé donc.

(la mise en plis de Stéphane Bern sur la photo de couverutre est-elle authentique ? bon d’accord, c’est juste que je suis jaloux de sa coiffure, c’est tout)

Compagnie K de William March

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«Le bruit des hommes qui rient, hurlent, jouent ou prient…le bruit même de la guerre.»

La compagnie K de l’US Marines Corps débarque en France en décembre 1917.
William March (1893-1954) raconte la Grande Guerre telle que l’ont vécue les soldats américains.
«Compagnie K» publié en 1933 est son premier roman.
Les très belles, très recommandables, voire indispensables éditions Gallmeister nous offre, dans sa collection Americana, pour la première fois en français, la traduction de ce roman saisissant.

Cher lecteur avide de commémoration, si vous ne savez pas quoi lire pour le centenaire de la guerre de 14-18, vous pouvez déjà réserver ce livre inoubliable.
A empiler sur «Le feu» d’Henri Barbusse, «La main coupée» de Blaise Cendrars, «14« de Jean Echenoz et «Au revoir là-haut» de Pierre Lemaitre.

La littérature ne démontre pas, elle montre.
Essentielle et vitale littérature !

«Au début, ce livre devait rapporter l’histoire de ma compagnie, mais ce n’est plus ce que je veux maintenant. Je veux que ce soit une histoire de toutes les compagnies, de toutes les armées. Si ses personnages et sa couleur sont américains, c’est uniquement parce que c’est le théâtre américain que je connais. Avec des noms différents et des décors différents, les hommes que j’ai évoqués pourraient tout aussi bien être français, allemands, anglais, ou russes d’ailleurs.»

Ce livre pourrait être LE livre de toutes les guerres : Vietnam, deuxième guerre mondiale, celles d’hier, d’aujourd’hui…de demain !

Et c’est là la grande force de ce roman de William March.

De l’embarquement pour la France au retour au pays, en passant par les tranchées de la mort, March nous crie à la figure, de mille et vives voix, la guerre.
Soldat, sergent, caporal ou lieutenant, venus des lacs de l’Alabama ou de la campagne de Virginie, ces hommes vont mourir et survivre, rire et pleurer, trembler et tuer devant nos yeux.
Des lâches et des courageux, des intrépides et des peureux, des déserteurs et des mutins…des hommes quoi.

Après deux semaines de traversée entassés dans un navire voilà nos «boys» américains débarqués sur notre sol prêts à en découdre contre des «teutons» aussi inconnus que le pays où ils viennent combattre.

Bienvenue dans les tranchées : vermine, rats, froid, boue, faim…et fin pour beaucoup !

Puis les assauts, les «nids» de mitrailleuses, les pluies d’obus et les combats au corps à corps à la baïonnette.

Terrible !

Comme la rencontre avec cet allemand blessé, agonisant, qui fouille dans sa veste pour sortir de sa poche…la photographie de sa fille.
«Le barbu a levé la main pour fouiller à l’intérieur de sa veste. J’ai cru qu’il allait nous jeter une grenade et je lui ai vidé mon pistolet dans le corps.»

Insupportable !

Comme ce soldat américian qui refuse de partir à l’assaut et qui sera froidement exécuté d’une balle par son supérieur.
«-Sors de là ! il a crié encore.
-Je vais pas plus loin, j’ai dit. J’en peux plus.»

Révoltant !

Comme ce courrier adressé aux parents d’hommes tombés au combat.
«…il avait compris que toutes ces choses auxquelles vous, sa mère, lui aviez appris à croire sous les mots d’honneur, courage et patriotisme, n’étaient que des mensonges…»

Hilarant !

Comme cette scène où tout un bataillon de soldats américains se retrouvent nus comme des vers dans un champ près de Belleville pendant que leurs vêtements cuisent dans une étuve.
C’est l’épouillage.
«Au bout d’un moment, le champ s’est retrouvé entouré de spectateurs, surtout des femmes, qui s’étaient assises dans l’herbe pour regarder…»

Emouvant !

Comme ce soldat américain qui clame : «J’apprendrai à lire ! Quand la guerre sera finie, j’apprendrai à lire !…»

Horrifiant !

Comme ces descriptions de blessures.
«Sa mâchoire avait été en partie emportée et elle pendait, mais quand il nous a vus il a tenu l’os décroché dans sa main et il a émis un son qui exprimait la peur et la soumission.»

Désespérant !

Comme ce jeune soldat qui vient de tuer un homme pour la première fois et qui pleure : «Je ne ferai plus jamais de mal jusqu’à la fin de ma vie…Plus jamais…Plus jamais !…»

Démoralisant !

Comme le retour au pays avec une gueule cassée, défigurée. Les retrouvailles avec celle qu’on aimait, avec elle qui vous aimait.
Celle qui vous retrouve et vous regarde et dit : »Si tu me touches, je vomis.»

La compagnie K a combattu dans l’Aisne, la Marne, la Meuse, à Verdun.

Rendons leur hommage en lisant ce livre remarquable de lucidité.
Dénonçons la guerre, toutes les guerres et ses planqués de généraux qui jouent aux petits soldats dans des salons onctueux de honte en lisant ce livre remarquable d’humanité.

Un chef-d-oeuvre ?
Peut-être…à vous de lire…à vous de le dire…

«La seule chose qu’on sait, c’est que la vie est douce et qu’elle ne dure pas longtemps.», dernières paroles du soldat Manuel Burt.

African Tabloid de Janis Otsiemi

Mise en page 1

«Les policiers gabonais étaient connus comme des canneurs.»

2008. Libreville au Gabon.
Le Gabon, découvert en 1472, par les explorateurs portugais, est indépendant depuis 1960.
Fondée en 1849, Libreville, la capitale, doit son nom aux esclaves libérés du navire négrier l’Eliza.

Les élections présidentielles se préparent. A plus de 72 ans le président gabonais arrivé à la tête du pays en 1967 «par le biais d’une succession constitutionnelle réglée comme du papier à musique» s’est déclaré candidat à sa propre succession.
Son fils aîné, «Baby Zeus», ministre de la Défense nationale,
s’entraîne déjà à la présidence en baillonnant la presse gabonaise où clientélisme et chantage sont monnaies courantes dans les rédactions des journaux.

Roger Missang, journaliste «fouille-merde» aux Echos du Sud est retrouvé assassiné, deux doigts de la main coupés, près du palais présidentiel.
Le capitaine Pierre Koumba de la PJ, les officiers Boukinda et Envame de la Direction générale des recherches sont sur une piste.
Sur fond de guerre des polices et de tribalisme entre les Punu, les Téké et autres Fang, l’enquête s’avère difficile, obscure et délicate. Les rouages du pouvoir grincent des dents.

L’écriture de Janis Otsiemi, parfumée d’expressions gabonaises succulentes («avoir un long Bic», «manger du pain sec», «tourner le cerveau»…) nous guide, avec générosité et chaleur, dans un Gabon post-colonial encore traumatisé.
Un Gabon qui se cherche une identité d’union nationale et démocratique.

Un polar rondement mené très plaisant à lire !

«La ville de Libreville n’était plus ce qu’elle était autrefois. Bon nombre de ses quartiers étaient devenus de véritables banditoustans où aucun policier ne s’aventurait à la nuit tombée.»

L’apocalypse des travailleurs de Valter Hugo Mãe

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Maria da Graça, la quarantaine, femme de ménage, lasse et frustrée vit captive entre son mari Augusto, marin, « une moitié d’homme ».
« …j’attends seulement qu’il réembarque… »

Et Monsieur Ferreira son patron, vieux grigou pervers amoureux de Goya, Pessoa, Proust et Mozart.
« …pendant que d’une main elle astiquait la maison, de l’autre elle astiquait l’ego impérialiste de son patron. »

Maria, son amie Quitéria prostituée au corps vorace et Andriy émigré ukrainien au coeur brisé (sur)vivent, coûte que coûte et nous bousculent pour gagner une petite place sur Terre comme au Paradis.

Et saint Pierre, ce bonimenteur, lui demanda ce que cela voulait dire femme de ménage :
« …femme que de temps en temps, le temps de faire le ménage… »

Un livre exceptionnel, magique.

L’indispensable de cette rentrée littéraire !

La poudre des rois de Thierry Maugenest

 

la-poudre-des-rois-thierry-maugenest-9782867463709Un superbe polar !

« Sept sont déjà morts, tu seras le huitième.
Lorsque le jour s’achèvera,
Le mal que nous portions en nous
coulera dans ton sang.
S’il est vain de vouloir sauver ton corps,
sans doute peux-tu laver tes crimes
qui souillent encore ton âme. »

XIIIe siècle en Andalousie.
Le roi catholique Fernando III vient de chasser le souverain maure de la ville de Séville, autrefois capitale d’Al-Andalus.
Huit riches marchands sévillans meurent tour à tour d’un mal mystérieux.
Ces huit marchands étaient à bord de la même nef en route vers l’Orient : c’était il y a quinze ans…

Harmad Ibn Akzar savant, philosophe et médecin, Sarah Alfaquin fille du médecin du roi et Roscelin jeune étudiant français en médecine partent à la recherche de ce mal étrange qui semble inévitablement et impitoyablement atteindre ses cibles.

Ce polar historique se lit d’une traite.
Un voyage instructif et passionnant dans la médecine du Haut Moyen-Age où se rencontrent savants arabes, juifs, français et chinois.

Suspens garanti jusqu’à la dernière page.
Un très bon moment de lecture.

Quattrocento de Stephen Greenblatt

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Lucrèce (entre 98/94 et 55 av JC) restera le grand nom de l’épicurisme romain.
Son long poème en vers (7 400 héxamètres non rimés), « De la nature » (De rerum natura), hommage vibrant à Epicure, hymne insolent à Vénus la déesse de l’Amour, innovante vision scientifique du monde, nous parle, encore, plus de deux mille ans plus tard, de religion, du plaisir et du sexe, de la maladie et de la mort, de la nature, de la société.

Ce texte va influencer Shakespeare, Michel Ange, Boticelli, Montaigne (qui le cite abondamment dans ses Essais), Giordano Bruno, Machiavel.

Stephen Greenblatt nous raconte (nous conte merveilleusement), avec une érudition passionnante (jamais pesante, ni prétentieuse), la redécouverte de « De la nature » par l’italien Poggio Bracciolini, dit le Pogge en 1417 dans un monastère au sud de l’Allemagne.

Comment ces moines allemands ont-ils accueillis ce brûlot ?
Pourquoi ont-ils copié et recopié cette poésie sulfureuse ?
Comment et pourquoi ont-ils sauvé cette oeuvre révolutionnaire ?

Latiniste brillant, le Pogge fut « scriptor » (clerc chargé de rédiger les documents officiels de la curie), secrétaire apostolique puis « chasseur » de manuscrits de la Rome classique et de l’Antiquité.

C’est le début de la Renaissance et de ses humanistes.
C’est l’histoire de l’écriture, des rouleaux de papyrus à la naissance de l’Imprimerie en passant par les codex.
L’histoire mouvementée du douloureux passage des religions païennes au catholicisme.
L’histoire de l’agonie de l’Empire romain d’Occident.
L’histoire, souvent scandaleuse et parfois rocambolesque de la papauté.
L’histoire du devenir des textes païens remis à jour par les humanistes de la Renaissance.

Le Pogge va redonner vie (comme une renaissance), après des siècles de silence et d’obscurantisme, au poème radical de Lucrèce.
Ce texte, obscène et malfaisant selon l’Eglise catholique officielle prétend que l’âme se dissout après la mort, « ainsi du vin quand son bouquet s’est évanoui, du parfum dont l’esprit suave s’est envolé ».
Ce texte affirme que l’Univers n’a pas de créateur ni de concepteur, que la Providence est le fruit de l’imagination.
Ce texte voit la vie comme une recherche du plaisir.

Cet essai de Greenblatt est un coup de maître.
Non, non, cher lecteur, surtout ne fuyez pas, ce bel ouvrage se lit comme un roman.
Une véritable mine d’or d’histoire culturelle.
Un grand moment de lecture, les yeux écarquillés de bonheur d’apprendre.
Sincèrement recommandé.
Tiens, j’ai déjà envie de le relire…

« Les poèmes du sublime Lucrèce ne périront que le jour où le monde entier sera détruit. » Ovide

Torre del Mar de Norman Lewis

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« Norman Lewis ?…Un des meilleurs écrivains de ce siècle. » écrivait Graham Greene.

Torre del Mar, petit village de pêcheurs en Espagne.
La Catalogne encore rouge de sang de l’après-guerre.

Sebastian Costa, pauvre pêcheur, tombé (poussé) du mauvais côté franquiste pendant la guerre civile.
Marta sa vieille mère, petite silhouette noire et hésitante.
Elena la fiancée d’illusion de Costa.
Molina le révolutionnaire fatigué.
Paquita la belle gitane ensorceleuse d’hommes.
Federico Vilanova le vieil aristocrate grincheux.
Alfonso Valls le mafieux du village.
Calles le lieutenant de police très sadique.
Un colonel phalangiste très peu poète.
Et quelques menus fretins de trafiquants et autres contrebandiers.

Une galerie généreuse et ironique : celle des gens d’en bas.
Ni militant, ni prêcheur, Norman Lewis ne démontre pas : il montre.

Et c’est poignant, émouvant.

Un très beau moment de lecture, c’est déjà beaucoup, non ?

« J’ai toujours jugé plus important de décrire ce que je voyais que d’encombrer le lecteur en lui faisant part de mes réactions. » Norman Lewis.

Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre

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« Je te donne rendez-vous au ciel où j’espère que Dieu nous réunira. Au revoir là-haut, ma chère épouse… »

Derniers mots écrits par Jean Blanchard fusillé pour traîtrise le 4 décembre 1914…réhabilité en 1921.

Pierre Lemaitre dédie ce roman aux morts, de toutes nationalités, de la guerre de 14-18 : dix millions de morts.
Ce roman tragique, comique, émouvant, haletant, embarque, engage le lecteur, halluciné, dans une fresque désanchantée d’après-guerre.

Un monument !

Roman historique, politique.
Roman d’amour.
Polar.
Cinq cent pages qui nous prennent au coeur et aux tripes.
A corps et à cri.
Un corps à corps avec la mort.
Une lecture à corps perdu…pour la vie…

L’écriture de Pierre Lemaitre, fluide et sensible, nous colle à la peau.
A fleur de peau.
Chair à canon, chair de poule.

« Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. »
Les premières pages dans les tranchées de la mort, stupéfiantes, nous laissent sans voix.

Sonnés !

C’est dans un trou d’obus que les destins d’Albert et d’Edouard vont basculer.
Ame cassée et gueule cassée.

Et puis y’a Cécile déjà partie, Madeleine la soeur d’Edouard, Pauline la jolie servante des Péricourt et la petite Louise.
Et puis l’horrible Lieutenant Pradelle, l’émouvant Monsieur Péricourt, le père de Madeleine et d’Edouard, l’inénarrable Joseph Merlin.
Et bien d’autres personnages encore, plus vrais que nature, cher lecteur, que vous n’êtes pas prêt d’oublier.

En attendant le centenaire du début de la guerre de 14-18, frère lecteur, lisez ce livre !

Un livre à ranger près d’Henri Barbusse, Louis Guilloux et Céline.
Rien que ça !

« Je suis certain que votre patriotisme trouvera dans cette proposition, l’occasion d’exprimer à vos chers morts que leur héroïsme restera éternellement sous le regard de leurs fils comme le modèle de tous les sacrifices. »

Un monument, vous dis-je…

L’accomplissement de l’amour de Eva Almassy

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Savoir aimer…et s’en aller…

«L’accomplissement de l’amour» est un titre emprunté à une nouvelle de Robert Musil paru dans son recueil «Noces».
L’histoire d’une femme mariée en mal d’amour qui va vivre un adultère imprévu…

Béatrice (Béa, Bé ou Bee) et Angel ne s’aiment plus.

«Un conjoint est un contemporain au sens trop fort du terme, il vous prend votre temps, il le prend pour le sien, il vit dans votre temps, il s’y promène, il nage dans votre journée remplie de lumière et c’est vous qui n’avez plus pied, qui vous noyez, qui ne voulez plus vivre avec cet homme-là, cet homme que vous aimez.»

Béa et Angel ne savent plus s’aimer.

«Il disait pas maintenant et c’est devenu jamais.»
Pas d’amour, pas d’enfants.

Bé va rejoindre un inconnu. Ne pas rester, se sauver pour (re)vivre.

«Lui, il a quatre gosses, une femme.»

Bee et l’inconnu «tous les deux éparpillés là sur la moquette d’une chambre d’hôtel.»

Sous le ciel de Paris, le temps qui passe et l’amour, ah l’amour, toujours l’amour, quand tu nous tiens…

L’histoire d’une femme mariée en mal d’amour qui va vivre un adultère imprévu…

«C’est un beau roman, c’est une belle histoire, ils avaient le ciel à portée de main, un cadeau de la providence, alors pourquoi penser au lendemain…» comme dit la chanson…

Eva Almassy, née à Budapest, vit en France depuis 1978.
Depuis 2006, avec Patrick Besnier, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Lucas Fournier, Gérard Mordillat et d’autres, l’un des « papous » de l’excellente émission de France-Culture «Des papous dans la tête», fondée par Bertrand Jérôme et animée par Françoise Treussard.

Le divan de Staline de Jean-Daniel Baltassat

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Dans l’intimité de l’Homme d’Acier.

«Mais pourquoi avons-nous si mal et si honte de notre abjection ?»
Vassili Grossman auteur du prodigieux chef-d’oeuvre «Vie et Destin».

Automne 1950. Staline se retire dans son palais de Borjomi en Géorgie.
Le Guide, le Petit Père du Monde Nouveau, après 25 ans de règne sanglant sur l’URSS, n’a plus que trente mois à vivre.
Joseph Staline dont le portrait envahit les murs des villes et des gares, des ateliers, des cinémas, des hôpitaux et des écoles, des chambres des amants et des bordels, aime tailler ses rosiers, regarder des westerns américains et lire Pouchkine dans son divan.
Un divan qui aurait appartenu au «Charlatan» viennois, Sigmund Freud.
Il vit là près de sa garde rapprochée, de sa belle Vodieva, sa maîtresse de toujours et du jeune peintre Danilov qui est chargé de concevoir un monument à la gloire du tyran.
«Une arête d’acier d’une centaine de mètres où le peuple pourra voir et revoir les grandes heures de la vie du camarade Staline.»

Le vieillard «au corps malingre, aux épaules étroites, aux flancs flottants dans l’ampleur du manteau» se souvient et rêve, rêve sur le fameux divan : de son enfance, de sa mère, de ses amours…de Lénine…
Et Jean-Daniel Baltassat de s’en donner à coeur joie pour nous plonger dans l’intimité du terrible Staline pour notre plus grand bonheur de lecteur.

Un remarquable et étonnant voyage dans l’inconscient de l’URSS et de son dictateur.
Un véritable roman «docu-fiction» comme si vous y étiez.
Edifiant !
Non, le camarade Staline n’est pas mort, il rêve encore…

«Attention à vos yeux. Vous les baissez trop souvent. Le camarade Staline ne se fie pas aux hommes qui baissent les yeux.»

La baronne meurt à cinq heures de Frédéric Lenormand

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Voltaire mène l’enquête.

Dans ce polar historique et néanmoins jubilatoire, Frédéric Lenormand réussit à entremêler réalité et fiction.
L’écriture de Lenormand, conforme au XVIIIème siècle, colorée d’un humour irrésistible ravira le lecteur surpris par un Voltaire inattendu et dispensateur de savoureuses sentences.

Imaginez un Voltaire détective privé secondée par une jeune marquise du Châtelet, «enceinte jusqu’au cou», à la recherche (mouvementée, très mouvementée) d’une vérité judiciaire aussi inaccessible qu’une vérité philosophique.

De faux en vrais testaments qui passent de mains en mains voire (tré)passent de cadavres en cadavres, des crimes aux codes mystérieux, un abbé aussi bête que vorace, une comtesse adoratrice de fessées jansénistes (si, si ça doit exister), une demoiselle de compagnie très (trop) sainte-nitouche, une semblant d’ingénue adepte de confitures vénéneuses, une baronne débauchée (ça doit exister aussi), un lieutenant général de police obsédé par la Bastille.
Et un Voltaire rocambolesque qui n’aspire qu’au repos pour, enfin, achever ses Lettres Philosophiques entamées durant son exil en Angleterre.

«Je ne peux pas aller en prison ! J’ai mon Eriphyle !
– L’apothicaire du gouverneur vous soignera ça, il a des pommades contre toutes sortes d’eczéma.
– Ce n’est pas une sorte d’eczéma, c’est une sorte de tragédie !»

Ce roman a obtenu le prix Arsène Lupin et le prix Historia du roman policier historique.
C’est bien mérité.
Un très bon moment de lecture, c’est déjà beaucoup, non ?

Le canapé rouge de Michèle Lesbre

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Oui, encore oui et toujours oui, il faut lire tous les livres de Michèle Lesbre.
Un de mes auteurs contemporains préférés.
«Un lac immense et blanc», «La petite trotteuse», «Le canapé rouge» et tous les autres…tous !

Les livres de Michèle Lesbre sont beaux à pleurer.

«Nous avions toute la vie devant nous…C’était quoi toute la vie ?»

Dans un transsibérien qui glisse doucement vers le lac Baïkal, «un train qui n’en finissait pas de m’emmener toujours plus loin», Anne part rejoindre un ancien amour, chercher des traces de sentiments chez Gyl…perdu d’avance…

En voyage, elle pense à Clémence Barrot, sa vieille voisine parisienne, ancienne modiste à l’immense talent pour le bonheur.

Sur son canapé rouge, toutes les deux aiment revivre les aventures d’Olympe de Gouges, de Marion de Faouët et de Milena Jesenska.

Reverra t-elle Clémence à son retour à Paris ?
Reverra t-elle Gyl à son arrivée sur les bords de l’Angara ?

L’écriture troublante de Michèle Lesbre illumine le lecteur jusqu’à l’éblouissement.

Magnifique auteure.
Trop émouvant pour vous en dire plus…

Guillaume Apollinaire de Laurence Campa

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«Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi
Je vivais à l’époque où finissaient les rois.» (G. A.)

800 pages de bonheur de lecture en compagnie d’Apollinaire.
Ce n’est pas rien, ça ne se refuse pas.

Wilhelm de Kostrowitzky, né de père inconnu et d’Angelica de Kostrowitzky, sombre et vénéneuse, poursuivie par ses rêves et ses créanciers.
Une belle errante qui travaillait «à la mue des jeunes gens en les dispensant de promesses en mariage ou épargnait aux hommes respectables les risques du jupon fangeux.»

«Ton père fut un sphynx et ta mère une nuit.» (G. A.)

Le poète dut s’inventer comme il inventa la poésie.
Apollinaire, l’enchanteur du réel, né à la poésie dans le symbolisme finissant, héritier de Villon et Nerval.

«Je voudrais qu’aimassent mes vers un boxeur nègre américain, une impératrice de Chine, un journaliste boche, un peintre espagnol, une jeune femme de bonne race française, une jeune paysanne italienne et un officier anglais des Indes.»

Apollinaire, français depuis huit jours, quand un obus lui troua la tête en mars 1916 dans les tranchées de Champagne.

Des amours : Annie l’inaccessible anglaise, l’excentrique Marie, la perverse Lou, la prude Madeleine, la dévouée Jacqueline.

«Je me croyais mal aimé, tandis que c’est moi qui aimais mal.»
(G. A.)

Des amis : Alfred Jarry et Arthur Cravan, deux fous à lier, le fidèle Max Jacob, Cendrars le vagabond…

Des petits boulots alimentaires comme celui, éloquent, de rédacteur anonyme au «Guide du rentier pour la défense des petits capitalistes». Tout un programme pour Guillaume le poète libertaire.

«Non au lieu de travailler, j’ai fait des vers, j’ai eu des rêves, je me suis occupé de littérature, merde, merde.» (G. A.)

Apollinaire, l’ami des peintres : Picasso, Braque, le Douanier Rousseau, Delaunay, Picabia…

Montmartre, Montparnasse, la vie de bohème avec plumes et pinceaux, caprices de Fortunes, ateliers et soupantes, scandales et soucoupes volantes, gros rouge qui tache et noir opium qui fâche.
Le Paris des fauvistes, cubistes, futuristes et autres…fumistes !

Puis vint la guerre.
Obus-Roi plus tragique qu’un Ubu-Roi.

«Le soleil est là c’est un cou tranché.» écrit le poète poilu.

Puis le trou dans la tête…vision du peintre De Chirico.
L’éclat d’obus le laissera affaibli pour toujours.
Trépané, en convalescence, il reçoit une lettre d’un certain Hugo Ball, signée Dada.
La page se tourne, déjà…
Breton, Soupault, Char trinquent leurs vers automatiques en buvant les oracles d’Apollinaire.
Les nouveaux insolents.
Ils sentent déjà la prochaine guerre…
Tout près couve la révolution russe.

Le 9 novembre 1918, le Kaiser vient d’abdiquer.
Tête blessée, poumons gazés, grippe espagnole.
Il est cinq heures du soir.
Dehors le peuple français chante la victoire.
L’entend-il ?
Max Jacob, Cocteau et Jacqueline veillent.
Le poète va mourir.

Quand Cendrars arriva au Père-Lachaise, la cérémonie était terminée.
«Regardez, dit-il à Raymonde et Léger, regardez, c’est prodigieux ! On dirait la tête d’Apollinaire.»
Une motte de terre «avait exactement la forme de la tête d’Appollinaire. C’est bien lui. Nou l’avons vu. Apollinaire n’est pas mort. Bientôt il va se manifester. N’oubliez pas ce que je vous annonce.»

Ce livre est remarquable.
Ce livre est aussi notre mémoire.
Ne l’oublions pas.

«Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne ?
La joie venait toujours après la peine. (G. A.)

Ne l’oublions pas.

La disparition soudaine des ouvrières de Serge Quadruppani

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« Toujours le même processus. On détruit un processus naturel gratuit et on le remplace par une prothèse artificielle payante. »

Après « Saturne » (2011, Prix des lecteurs Quais du Polar), « La disparition soudaine des ouvrières » est la deuxième enquête de la commissaire Simona Tavianello.

Simona et son époux Marco coulent des vacances amoureuses dans les Alpes piémontaises.
Oui mais voilà, dans la vallée, un cadavre est découvert chez un militant écolo défenseur des abeilles, « un emmerdeur de première », membre actif du Comité de Défense des Apiculteurs des Vallées Alpines.
Près du tué par balle, sur une feuille en gros caractères hâtivement tracés au feutre rouge s’étalent les mots : « Révolution des abeilles ».
Oui mais voilà, la balle qui a été tirée dans la tête de la victime provient du revolver de service de Simona.

Finies les vacances langoureuses !

Ce polar, rapide et efficace, avec ses journalistes véreux, ses Services Secrets, en veux-tu, en voilà, ses écolos farfelus, ses industriels, sans foi ni loi, manipulateurs d’OGM, d’insecticides et autres bombes à retardement, se lit avec plaisir, grand plaisir même.

Les abeilles disparaissent…
Quand on sait que 35% du tonnage de ce que nous mangeons dépend de la pollinisation, y’a de quoi s’inquiéter, non ?

Un très bon moment de lecture alertante donc.
C’est déjà pas mal, non ?

Et puis la Simona, je l’aime bien.
Toujours aussi séduisante, fonceuse et frondeuse.
Surtout quand elle dit : « Dans une salle de spectacle quand un chanteur voulait faire reprendre un refrain en choeur, dans une réunion de travail quand un supérieur posait une question à la cantonade, dans une assemblée politique ou syndicale quand l’orateur lançait un slogan qu’on était censé répéter, elle réagissait toujours de la même manière : elle rentrait la tête dans les épaules et attendait que ça passe. »

Propos hors du troupeau, j’adore !

Comment vivre ? de Sarah Bakewell

 

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« A quel point je le fais mien…il me semble que c’est moi-même. » écrivait André Gide à propos de Montaigne.
Cet été Montaigne me tient compagnie et me suit partout…sur le sable brûlant de l’Atlantique, sur les pentes arrondies des monts d’Auvergne ou sur les verts chemins qui serpentent la campagne de la Haute-Loire (voilà, vous savez tout de mes vacances !).
Partout Montaigne m’accompagne…à sauts et à gambades…
« C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t’avertit dès l’entrée que je ne me suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n’y ai eu aucune considération de ton service ni de ma gloire. » précise Montaigne en introduction de ses « Essais ».

Au programme :  » Un Eté avec Montaigne » d’Antoine Compagnon, « Montaigne à cheval » de Jean Lacouture, « Comment vivre ? » de Sarah Bakewell et enfin et surtout une relecture de morceaux choisis des « Essais », version Folio Classique dirigée par Pierre Michel avec une magnifique préface d’André Gide (version sincèrement recommandée !).

Montaigne est un compagnon de vie très agréable à vivre.
Un ami idéal : jamais démonstratif, jamais donneur de leçons, toujours présent, toujours attentif.

Montaigne nous raconte comment affronter la peur de la mort, comment tirer le meilleur de chaque instant de notre vie, comment lire…comment vivre…

Ici, Sarah Bakewell nous propose une éclairante et passionnante biographie de Montaigne.

Au menu du compagnonnage : de nombreux extraits des « Essais », des anecdotes savoureuses, une remarquable mise en contexte historique et un instructif défilement de la vie de Montaigne.

Je conseille vivement la lecture de ce livre à tous ceux qui n’ont pas le temps (vive les 35 heures !), le courage (oui, il en faut parfois pour lire les 3 tomes en vieux français !) de lire les « Essais ».

« Je mets tout lecteur de Montaigne au défi de ne pas poser le livre à un moment ou à un autre pour s’écrier, incrédule : Comment a-t-il su tout cela de moi ? » écrit le journaliste Bernard Levin à propos des « Essais ».

Exit Music de Ian Rankin

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« Je n’étais toujours pas persuadé d’être un auteur de roman policier. Pour moi, je faisais des commentaires sur la vie présente en Écosse, sur ses manies et ses psychoses, sur les défauts de son caractère. Je disséquais une nation. » confiait Rankin au tout début des aventures de son célèbre et cynique Inspecteur John Rebus.

«Exit Music» (titre d’une chanson de Radiohead) est la 17ème et dernière enquête de Rebus.
Rebus va partir à la retraite…

La fin inéluctable de cette série inquiéta beaucoup ses lecteurs passionnés, à tel point que la MSP11 du Fife, Helen Eadie, fan de Rebus, posa la question au Parlement d’Écosse : « Pouvons-nous changer les lois de façon que les officiers de police judiciaires d’Édimbourg puissent travailler jusqu’à 65 ans ? »

«Lundi matin, la sonnerie de son réveil serait superflue. Il pourrait prolonger le petit déjeuner pendant toute la journée, ranger son costume dans l’armoire, d’où il ne sortirait que pour les enterrements. Il connaissait les histoires effrayantes…Les gens qui cessaient le travail et se retrouvaient dans la boîte la semaine suivante…»

Tiens, ça me donne envie de chialer…

Rebus et son associée Siobbhan Clarke sont chargés d’enquêter sur l’assassinat d’un poète russe dissident, Alexander Todorov.
Tout proche, trop proche du lieu du crime rôde l’inévitable et inséparable ennemi de Rebus, le truand Cafferty.

Comme dans tous les «Rebus» de Rankin règne la belle et sordide Edimbourg : sombres pubs et ruelles malfamées.

Dans ce dernier opus (tiens, ça me donne envie de chialer..) Rankin nous offre une Ecosse en mal d’indépendance aux mains liées par des oligarques russes très gourmands, trop gourmands…

Rankin est un maître du polar.
Son Rebus, après dix-sept livres, est devenu mon ami.
Tiens, ça me donne envie de chialer..

Je crois bien que je vais tous les relire…

Rebus : son cynisme, sa révolte désinvolte contre l’autorité, sa bande-son (The Who, Les Stones, Nick Cave, Patti Smith…que du très très bon, pour les amateurs, veuillez consulter ce lien : http://sabotagetimes.com/music/ian-rankin-50-songs-i-love/)

«Au-delà du sentier se dressait un haut mur derrière lequel, Rebus le savait, s’étendait un site industriel devenu inutile. Un peu moins d’un an plus tôt, c’était encore une brasserie, mais presque tous les bâtiments étaient en cours de démolition et on démontait les cuves à fermentation en acier.
Naguère, la ville possédait trente ou quarante brasseries. Il n’y en avait plus qu’une, pas très loin, dans Slateford Road.»

Tiens, ça me donne envie de retourner en Ecosse..

«Adieu notre réputation écossaise
Adieu notre gloire passée
Adieu même notre nom d’Ecosse
Si réputé pour ses exploits guerriers
Désormais la Sark recouvre les sables de Solway
Et la Tweed coule jusqu’à l’océan
Marquant la limite de la province anglaise
Une nation aux mains de gredins.»

Les Stones de Philip Norman

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« En 1984, on pensait généralement que peu de fans des Rolling Stones aiment les livres. Je suis heureux que celui-ci ait fait exception à cette règle, puisqu’il est constamment réimprimé depuis vingt-huit ans, et toujours présent pour marquer aujourd’hui le demi-siècle d’existence des Stones. »

Des biographies sur les légendaires Stones il y en a des tonnes et des tonnes…trop, trop…

Celle de François Bon, celle de Nick Kent, celle de François Jouffa, celle de François Plassat et celle de…et puis celle de…
Trop c’est trop.
Ne perdez pas votre temps allez tout droit lire celle de Philip Norman qui reste une référence avec celle de Stanley Booth.
Faites moi confiance…

Si vous avez écouté, si vous écoutez et si vous écouterez « Sympathy For The Devil » en boucle, vous voilà servis.
Ces diables de Stones on fait coulé beaucoup d’encre, de sang et de dollars…trop, trop…
De la naissance du groupe adepte du Rythm and Blues, à la noyade de Brian Jones (fondateur du groupe), du terrible et cauchemardesque concert d’Altamont aux démélés financiers autour des droits d’auteurs, des orgies alcoolisées aux matins brumeux aux goûts de LSD…vous saurez tout (ou presque) sur ces sacrés musicos que sont les Stones.

C’est aussi un voyage (psychédélique !) au pays des sixties.
« Dans cette rue grise, ils rayonnaient comme des dieux solaires. Ce n’étaient pas des humains, mais bien plutôt des créatures venues d’une autre planète… » écrit Nik Cohn en 1965 à Liverpool.

Suivez mes précieux conseils, enfilez votre casque et écoutez ces albums (Aftermath, Let It Bleed, Stikies Fingers, Exil On Main Street, pas plus…après le reste c’est comment dire, trop, trop…) en lisant « Dance With The Devil » de Stanley Booth et « Les Stones » de Philip Norman et vous m’en direz des nouvelles…
Non, ne me dites pas merci c’est vraiment parce que je vous aime bien !

« Let me please introduce myself
I’m a man of wealth and taste
And I lay traps for troubadors… »

L’énigme de Flatey de Viktor Arnar Ingolfsson

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« Enténébrées sont les terres et la nef parcourt la mer. 
Cap sur le froid et la mort. 
Quel sera notre sort ? » (Le livre de Flatey)

Les écrivains nordiques viennent piller notre raide budget-livres et envahissent nos rayons polars.
L’expansion viking pirate les vitrines de nos librairies préférées.

L’Islande en particulier a tout pour plaire : violents paysages et climat propice aux enquêtes brumeuses.
J’aime bien l’Islande.
J’ai découvert ce pays accompagné par Halldór Laxness dans son magnifique roman historique « La cloche d’Islande » (vivement conseillé) et guidé par les traductions des sagas islandaises par Régis Boyer…sans omettre bien entendu toutes mes premières enfantines lectures de fascinants vikings…qui me faisaient bien peur.
Un pays exotique !

J’aime bien l’Islande, dis-je, et j’aime bien les polars.
Donc ça tombe plutôt bien pour découvrir ce Viktor Arnar Ingolfsson et son énigme de Flatey.
« L’Énigme de Flatey » est actuellement le seul roman de l’auteur à avoir été traduit en français.

Flatey est une toute petite île perdue dans un immense fjord à l’ouest de l’Islande.
Nous sommes en 1960.
Ici ça pêche et ça assomme des phoques toutes les dix pages…de quoi bien énerver notre emblématique BB.
Mais bon faut bien se nourrir.
Une épicerie, une conserverie, une église, un unique téléphone alimenté par une dynamo et basta.
Seul événement marquant : une fois par semaine un bateau postal vient accoster sur l’île pour approvisionner les habitants.
Plutôt rustre et calme comme endroit.
Là tout le monde se connait…ou croit se connaitre…dans une sorte de huit clos glacial.

Quant un scientifique danois, Gaston Lund, spécialiste des sagas islandaises est retrouvé mort sur un rocher perdu en pleine mer.
Cet éminent professeur serait-il venu pour résoudre l’énigme du Livre de Flatey ?
Le Livre de Flatey écrit entre 1387 et 1394 relate les aventures des rois de Norvège. C’est le plus long et le plus richement illustré des manuscrits islandais.
Au xve siècle, le manuscrit appartenait à une famille de l’île de Flatey. En 1647, son propriétaire, Jón Finnsson, en fit don à l’évêque de Skálholt, Brynjólfur Sveinsson. Brynjólfur l’envoya au roi Frédéric III de Danemark en 1656. Le Flateyjarbók fit partie de la Bibliothèque royale jusqu’en 1971. Le 21 avril, il fut solennellement restitué à l’Islande. Il est aujourd’hui conservé à l’institut Árni Magnússon, à Reykjavik.

Et c’est l’attachant et naïf Kjartan, adjoint du préfet, venu de la capitale Reykjavik, pas détective pour un sou, qui va devoir mener l’enquête.
A nous de découvrir quel est le coupable parmi ces paisibles pêcheurs.
L’occasion pour nous, comme pour notre apprenti Hercule Poirot, de découvrir ce mystérieux pays aux coutumes ancestrales durement conservées.

L’occasion pour nous, curieux lecteurs, de plonger dans les sagas légendaires de l’Islande du Moyen-Age.

Un bon et dépaysant moment de lecture…que demander de plus ?

« La magie mène au terme du voyage, nous souquons ferme. Pourquoi chercher des réponses
qui pour nous sont absconses ? » (Le Livre de Flatey)

Pornographie du temps présent de Alain Badiou

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« Un présent fait défaut. » Mallarmé

Le philosophe Alain Badiou, guidé-inspiré par la pièce de théâtre « Le Balcon » de Jean Genet, nous propose ici une critique radicale de la démocratie.
Comme souvent (très souvent à mon goût) Alain Badiou nous bouscule, nous interpelle, nous provoque, nous chatouille là où ça fait mal…pour notre plus grand bien !

Ce court texte d’une quarantaine de pages est la reprise intégrale d’une conférence intitulée « Images du temps présent » donnée en janvier 2013 à la Sorbonne.

De la démocratie considérée comme notre fétiche, un bordel, le Phallus de notre présent.
Rien que ça !

Le pouvoir démocratique cacherait sa « férocité » derrière une (pro)fusion d’images obscènes, sophistiquées et marchandes.
Son but : nous pousser à consommer dans l’illusion d’un monde connecté…le fameux-fumeux « Village Global » d’Internet.

« Le bordel, c’est le lieu où s’évalue et se fixe le prix moyen du désir. C’est le marché des images. » nous prévient Badiou.

En dehors de ce bordel savamment organisé survivrait la fureur de ceux qui résistent, qui rêvent…comme un désir de révolution.
Nous devons nous « désencombrer », « désimager », « désimaniger ».
Nous devons oser les utopies.

« Il est aujourd’hui sentimentalement obligatoire d’être démocrate. Le féroce pouvoir nu qui nous détruit se fait reconnaitre et même aimer par tous, dès lors qu’il se couvre du mot démocratie…Nous devons avant tout traiter méthodiquement cette obligation et cet amour. » scande Badiou tel un Léo Ferré au plus grand de sa forme.

Critiquer le capitalisme ne suffit pas, ne suffit plus. Il faut aller plus loin, penser plus loin.
Oser fustiger la démocratie, un système politique encore trop inégalitaire.

Oui mais pour aller où ?
Comment ?
Avec qui ?

Là, Badiou reste (trop souvent à mon goût) imprécis.
Vers un monde qui ferait advenir l’égalité réelle de l’humanité toute entière.
Mais encore ?
Certes Badiou a toujours eu l’honnêteté voire le courage de refuser de porter le drapeau, le chapeau des dictatures communistes.
Il ne donne pas de leçons contrairement aux Alain Minc et autres Jacques Séguéla et leurs discours moralisateurs, contrairement aux nouveaux et envahissants économistes-gourous qui prétendent nous apprendre à vivre.

Un livre remuant pour éviter de ronronner, de s’assoupir !

« Nos poètes tuent ce qu’ils voudraient faire vivre. » Jean Genet.

Un été avec Montaigne de Antoine Compagnon

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« Quand je danse, je danse… » Montaigne.

Antoine Compagnon, écrivain et professeur au Collège de France, est un spécialiste de Montaigne (« Nous, Michel de Montaigne », « Chat en poche : Montaigne et l’allégorie »).

Ici il nous accompagne, le temps d’un été, à (re)découvrir Montaigne.
Réduire les Essais de Montaigne à quelques extraits, sentences ou autres maximes est un exercice à haut risque. Beaucoup s’y sont aventurés…beaucoup trop se sont enlisés dans une glose vaseuse et évasive.

Là, Antoine Compagnon réussit le défi.
En quarante petits chapitres judicieusement colorés de nombreux passages des Essais, il nous offre un Montaigne vivifiant, fortifiant, présent et moderne.
De son engagement politique à sa vision de la mort, de l’éducation au temps qui passe, que sais-je…
Montaigne est encore bien vivant. BHL peut aller se rhabiller…

De quoi (re)donner envie de (re)lire les Essais…été comme hiver !

« Le livre me console en la vieillesse et en la solitude, il me décharge du poids d’une oisiveté ennuyeuse et me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent, il émousse les pointures de la douleur… » Montaigne

Un été avec Louise de Laura Moriarty

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« Il n’y a pas de Garbo ! Il n’y a pas de Dietrich ! Il n’y a que Louise Brooks ! » Henri Langlois

1922. Wichita dans le Kansas.
Les tranchées de la grande guerre fument encore en Europe. La grippe espagnole se répand sur le monde comme une trainée de poudre.
Les « Boys » sont de retour au pays de la prohibition.
Les femmes suffocent sous leurs corsets et les noirs dans leurs ghettos. Le Ku Klux Klan a le vent en poupe.

Cora Carlisle est « bien mariée » avec Alan avocat renommé.
Ils ont des jumeaux beaux grands et en bonne santé.
Cora est orpheline, recueillie, élevée au New-York Home for Friendless Girls. Adoptée par la famille Kaufmann. Plutôt bien tombée.
Mais de ce passé son présent a fait table rase…pour préserver le futur.
Mais que dirait-on si dans ce paisible Wichita on apprenait que la femme du célèbre Alan Carlisle avait été abandonnée à l’âge de quatre ans chez les soeurs des pauvres.

Dans ce Wichita étriqué vit aussi la famille Brooks. Myra et Leonard Brooks.
Des originaux comme on dit dans Wichita.
Des prétendus presbytériens qui ne vont jamais à l’église. Une mère qui joue du piano toute la journée au lieu de s’occuper de ses enfants et du Satie par dessus le marché. Un père juriste qui laisse sa maison s’effondrer sous le poids de livres pas toujours recommandables.
Une fille de quinze ans très délurée qui lit Voltaire et Schopenhaueur.
Petite et menue, la peau très claire, des yeux sombres, des cheveux très noirs, brillants et raides, coupés juste en dessous des oreilles.
« De part et d’autre du visage à l’ovale parfait, deux mèches dessinaient comme des flèches pointées vers une bouche charnue et sensuelle, et le rideau soyeux d’une épaisse frange s’arrêtait en une ligne bien droite au ras de ses sourcils. »
Espiègle, insolente…d’une beauté à couper le souffle, vous l’avez déjà reconnue, c’est Louise, Louise Brooks.
La future Louise Brooks ! La célèbre actrice du muet qui osa dire m…. aux ponts d’or et aux ors des pontes d’Hollywood.
Si vous ne connaisez pas encore les films de Louise Brooks courez vite regarder « Loulou » ou « Le journal d’une fille perdue » de Pabst, entres autres.
Magnifique et envoûtante !

La petite Louise rêve d’intégrer la prestigieuse école de danse de Denishawn à New-York.
Son père trop affairé, sa mère trop, comment dire, trop « pas assez mère et trop Eric Satie » ne seront pas du voyage.
Ils cherchent une chaperonne (quel vilain mot !).
Cora se propose.
Monsieur Brooks a réservé un appartement pour Louise et Cora à New-York à deux pas du New-York Home for Friendless Girls. Tiens, tiens…
Et c’est parti pour une belle, très belle, émouvante, très très émouvante histoire de deux vies parallèles.
Celle de la petite Louise qui va devenir la grande Louise Brooks.
Celle de Cora Carlisle qui va devenir…qui va devenir et bien je vous laisse ici car sinon je sens que je vais faire trop long et tout vous raconter tellement ce livre m’a plu.

Un beau coup de coeur que ce premier roman de Laura Moriarty publié en France.