Bohemian Flats de M R Ellis

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C’est une saga familiale qui couvre plusieurs décennies.
Celle de la famille Kaufmann.
Des allemands qui vont émigrer vers l’Amérique.
Et nous allons les suivre de 1881 à 1968.

Banlieue de Minneapolis au bord du Mississippi : les quartiers de Bohemian Flats. Lieu d’accueil misérable des immigrés tchèques, suédois, irlandais…le Melting pot américain se fabrique sous nos yeux dans des baraques en bois brinquebalantes.

C’est une partie de la mémoire des Etats-Unis que nous conte Ellis.
Je retrouve tout le talent de cet auteur que j’avais déjà beaucoup aimé dans son « Wisconsin ».

Ellis sait magnifiquement nous raconter l’Amérique.

« Et puis il y avait le Mississippi, ses offrandes et ses débordements, fleuve
qui les comblait et les maudissait comme un dieu. Mais un dieu qu’ils comprenaient, un dieu qui était là, à leurs pieds. »

Un goût de cannelle et d’espoir de Sarah McCoy

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C’est un beau roman, c’est une belle histoire, ils partirent vers l’Amérique…

Nous sommes en Allemagne durant l’hiver 1944.
Le régime nazi, à l’agonie, continue à déporter et à faire le mal.

Au 56 Ludwigstrasse à Garmisch la boulangerie Schmidt, malgré les restrictions, prépare Noël.

La jeune Elsie, 16 ans, va recueillir et cacher en secret un enfant juif en fuite.

Ses parents, sans adhérer au nazisme, restent des patriotes dévoués.
Sa sœur Anzel est partie volontaire au Lebensborn.
Le Lebensborn (Association de l’Allemagne nationale-socialiste, patronnée par l’État et gérée par la SS) une sorte de « crèche-bordel » pour officiers SS qui enfantaient des femmes pour sauvegarder la race aryenne.

Et c’est l’histoire de cette magnifique Elsie que va nous conter Sarah MacCoy.
La vie de cette femme héroïque va défiler au fil des pages sous nos yeux souvent embués d’émotion.
La guerre vue du côté allemand, l’exil en Amérique…

La littérature est «maîtresse des nuances» disait Barthes.
La littérature «s’embarrasse» de nuances.
Ne se sépare de personne.
Elle s’intéresse aux différences, aux subtiles différences, aux sensibles singularités.
Elle veut essayer de comprendre sans chercher à expliquer-démontrer. Juste raconter.

C’est tout simplement, tout magnifiquement ce que nous raconte ce livre.

Frog Music de Emma Donoghue

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« Certains meurtres gagnent à n’être jamais élucidés, peut-être. Comme certaines cicatrices gagnent à rester dissimulées. »

Nous sommes à San Francisco en 1876. Une ville d’à peine trente ans d’âge.
Une ville toute neuve du bout de la conquête de l’ouest.
Une ville du Far West qui se met debout.

« Le rêve californien tourne court, pour la plupart de ceux qui ont réussi à arriver jusqu’ici…Des fortunes restent à bâtir, mais seuls ceux qui possèdent l’énergie nécessaire y parviendront… »

Une ville du bout du monde.

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L’été 1876. San Francisco meurt de chaleur et souffre d’une épidémie de variole.

L’été des lynchages de chinois de Chinatown. La variole c’est eux.

L’été de Blanche la française, danseuse au bordel de Sacramento Street, le « House of Mirrors ».
Et son Arthur…et son Ernest.

Des anciens artistes de cirque qui ont quitté la France pour se refaire une nouvelle vie. Un trio sans foi ni loi.

« Blanche est experte dans l’art d’aguicher. C’est une allumeuse, qui s’y entend comme personne pour faire naître une flamme, la moucher, la rallumer, la souffler à nouveau. »

Et les michetons sont prêts à payer très cher : le jeu en vaut la chandelle.

Le bonheur, presque, parfait.

Un enfant P’tit. L’enfant d’Arthur, le mac-aimé, et de Blanche. Abandonné dans une sorte de « ferme à bébés ».
Pourquoi s’encombrer d’un enfant ?
Le jeu, la danse, l’amour, la liberté n’a pas besoin d’un enfant dans les pattes.

Le bonheur…ou le semblant d’un bonheur.
Après tout ici à San Francisco rien n’est encore vraiment vrai.

Jusqu’au jour où Blanche va rencontrer Jenny la chasseuse de grenouilles habillée en pantalon.
Une sacrée originale celle-là. Une joyeuse emmerdeuse qui roule en Grand-bi un Colt dans la poche.
Sans foi ni toit.

Blanche et Jenny vont se lier d’amitié pour le meilleur et…le pire.

Qui a tué Jenny cette nuit au Eight Mile House près de la gare de San Miguel là où la ville de San Francisco « rend son dernier râle. »

Emma Donoghue va nous chanter une aventure romanesque envoûtante.
Nous plonger au cœur de la ville, aux chœurs des rues.

Et, chers lecteurs, pour notre plus grand plaisir.
Superbe !

« Oh, California,
That’s the land for me !
I’m bound for San Francisco
With my washbowl on my knee. »

Il était une rivière de Bonnie Jo Campbell

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Quel livre !
Un roman qui vous prend au corps et au cœur.
Qui vous tient sans jamais vous lâcher, sans jamais vous lasser.

« La Stark affluait dans le méandre à Murrayville comme le sang dans le cœur de Margo Crane. »

Difficile de critiquer ce livre tant l’émotion demeure intacte. Longtemps après encore.

Nous voilà dans le Michigan des années soixante-dix.
Murrayville est une cité ouvrière qui vivote près du lac Michigan.
Ici la famille Murray domine son petit monde de père en fils.

La jeune adolescente Margo aime chasser, pêcher, se baigner dans la rivière Stark et sait tirer à la carabine comme personne.
Comme Annie Oakley, figure légendaire de l’ouest américain.

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Margo sait vivre avec la rivière comme son grand-père lui a appris.

Sa mère a abandonné mari et fille pour fuir la rivière et ses secrets.
Margo est élevée par son père.
Quand son père est abattu par un Murray…

Margo va devoir survivre sur le fil de la vie…au fil de l’eau.
A la rencontre de grands hommes et de salauds.

La vie comme un voyage.

Margo va grandir en suivant la rivière.
Une rivière où se noyer, une rivière où renaître.

Ce livre est époustouflant de paysages, gonflé d’émotions et baigné de sagesse et d’espoir.

Un hymne à la liberté.
Inoubliable Margo.

A lire d’urgence !
C’est un ordre !

La dernière frontière de Howard Fast

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1878.

Les Indiens cheyennes, chassés de leurs Grandes Plaines, sont parqués dans l’Oklahoma.

Loin de leurs bisons ils vivotent dans cette région aride.

Vont-ils survivre encore longtemps ?

Mais en juillet 1878 c’est l’incident de Darlington.

Trois cents cheyennes, hommes, femmes et enfants décident de s’enfuir pour rejoindre leur terre sacrée des Black Hills.

Soldats et milice civile vont les poursuivre jusqu’à la frontière du Wyoming.

Un sacré bout de chemin.

Ce livre est émouvant à pleurer.

Un livre-hommage à cette nation qui veut vivre debout ou mourir debout.

Vous n’êtes pas prêts d’oublier les admirables Dog Soldiers.

Retour à Little Wing de Nickolas Butler

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Little Wing. Petite ville du Wisconsin dans le Midwest américain.

Une rue principale, le bar des VFW, une fabrique abandonnée, des prairies à perte de vue et des fermiers.

Ici tout le monde connaît tout le monde.

C’est ici que sont nés Hank, Lee, Ronny et Kip.

Quatre copains pour la vie.

Hank le fermier, Lee la star du rock’n’roll, Ronny le roi du rodéo et Kip le courtier.

A l’occasion du mariage de Kip les quatre copains vont se retrouver. Retrouver leurs enfances complices, leurs beaux souvenirs.

Sans aucun relent nostalgique Nickolas Butler nous offre là un premier roman d’une sensibilité surprenante qui nous prend au cœur.

Il nous raconte une Amérique méconnue : tendre et fragile.

Un coup de cœur.

Au fil des pages nous allons vivre au jour le jour au rythme de Litlle Wing. Revivre le passé, les regrets, les amours enfouis et inavoués, les espoirs inassouvis. Rêver demain.

Un gros coup de cœur.

Et puis il y a Beth. La magnifique Beth.

« J’avais envie de l’embrasser et de tout arrêter : la musique, la danse, le flot de champagne. De dire à tout le monde, à toute l’assistance, que Beth et moi partagions quelque chose d’extraordinaire et de réel et que peut-être, peut-être, j’étais encore amoureux d’elle et elle de moi. »

Un gros, gros coup de cœur, vous dis-je.

Un chien dans le moteur de Charles Portis

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« Norma, ma femme, s’était fait la malle avec Guy Dupree et je guettais l’arrivée des relevés de cartes de crédit qui me permettraient de savoir où ils étaient allés. »
Ray Midge, vingt-six ans d’âge, « glandeur » invétéré, son Colt Cobra planqué au fond de la glacière, part récupérer sa Ford Torino (à tout prix) et sa femme (éventuellement).

« Qu’est-ce que tout le monde cherche ? il a dit. Norma n’a pas hésité : elle a dit que tout le monde cherchait l’amour. »

Et c’est parti pour un « road-movie » rocambolesque et hilarant.

Charles Pontis, l’auteur, ancien journaliste à l’Herald Tribune, va nous bringuebaler sur des routes défoncées de l’Arkansas au Belize en passant par le Texas et le Mexique.

De crades motels en parcs à caravanes désertiques en passant par des bars plus que louches, Ray, dans une Buick déglinguée – la véritable héroïne du livre – part vers le Sud à la recherche du temps perdu.

« Les deux phares droits étaient pétés et la direction encore plus endommagée : il y avait maintenant presque un demi-tour de jeu dans le volant. La position de la barre transversale du volant était modifiée elle aussi, de l’horizontale elle était passée à la verticale, et ce nouvel alignement ne me permettait pas de positionner mes mains correctement. »

Ray, « looser » généreux, va rencontrer, pour notre plus grand bonheur de lecteur, des hippies débraillés, des évangélistes illuminés, un Docteur fou-dingue et j’en passe et des bien pires.

Ce roman nous trimbale à travers une Amérique cahotante, déboussolée en quête d’illusions perdues.
L’humour désabusé et pathétique de Pontis nous tient collés sur la banquette cramoisie par la chaleur du Sud jusqu’au bout de la route.
Pied au plancher, cœur soulevé-chahuté par les bosses de la vie.

« La glace avait fondu depuis belle lurette et le fromage et le salami étaient foutus. L’eau était marron à cause des languettes des canettes de bière qui avaient rouillé. Au fond de ce marécage, mon Colt Cobra ballottait dans son sac en plastique. »

Chaudement recommandé !
Bon voyage à vous…

Et rien d’autre de James Salter

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Philip Bowman, jeune homme trop pressé, s’est fixé deux objectifs : rencontrer l’amour et Hemingway.

Il voit l’avenir suivant ses propres rêves. Il rencontre Vivian. Se marie.
Mais déjà, «le même couple, le même lit, et pourtant ils n’étaient plus les mêmes.»
L’Amérique des années 50, l’Amérique d’après-guerre.
Les mêmes américains, le même pays et pourtant une Amérique qui n’était plus la même.
Un Amérique très (trop) pressée…et c’est magnifique !

Le livre de James Salter est un succulent cliché de l’Amérique.
L’auteur manie dialogues avec véracité et dextérité. Très vivant.
Les descriptions de «l’american way of life» sont un régal. Eloquent.
Une sorte de far-west : celle d’une génération désanchantée et désabusée. Une génération à l’ouest !
A la conquête des illusions perdues.
Décidément l’Histoire de cette jeune Amérique n’en finit pas de s’écrire.

Je conseille vivement cette lecture…et rien d’autre…
Une nouvelle découverte de l’Amérique.
Un livre fort et irrésitible…
Encore et encore…
Un 5 étoiles sur la bannière étoilée de la rentrée littéraire.

Compagnie K de William March

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«Le bruit des hommes qui rient, hurlent, jouent ou prient…le bruit même de la guerre.»

La compagnie K de l’US Marines Corps débarque en France en décembre 1917.
William March (1893-1954) raconte la Grande Guerre telle que l’ont vécue les soldats américains.
«Compagnie K» publié en 1933 est son premier roman.
Les très belles, très recommandables, voire indispensables éditions Gallmeister nous offre, dans sa collection Americana, pour la première fois en français, la traduction de ce roman saisissant.

Cher lecteur avide de commémoration, si vous ne savez pas quoi lire pour le centenaire de la guerre de 14-18, vous pouvez déjà réserver ce livre inoubliable.
A empiler sur «Le feu» d’Henri Barbusse, «La main coupée» de Blaise Cendrars, «14« de Jean Echenoz et «Au revoir là-haut» de Pierre Lemaitre.

La littérature ne démontre pas, elle montre.
Essentielle et vitale littérature !

«Au début, ce livre devait rapporter l’histoire de ma compagnie, mais ce n’est plus ce que je veux maintenant. Je veux que ce soit une histoire de toutes les compagnies, de toutes les armées. Si ses personnages et sa couleur sont américains, c’est uniquement parce que c’est le théâtre américain que je connais. Avec des noms différents et des décors différents, les hommes que j’ai évoqués pourraient tout aussi bien être français, allemands, anglais, ou russes d’ailleurs.»

Ce livre pourrait être LE livre de toutes les guerres : Vietnam, deuxième guerre mondiale, celles d’hier, d’aujourd’hui…de demain !

Et c’est là la grande force de ce roman de William March.

De l’embarquement pour la France au retour au pays, en passant par les tranchées de la mort, March nous crie à la figure, de mille et vives voix, la guerre.
Soldat, sergent, caporal ou lieutenant, venus des lacs de l’Alabama ou de la campagne de Virginie, ces hommes vont mourir et survivre, rire et pleurer, trembler et tuer devant nos yeux.
Des lâches et des courageux, des intrépides et des peureux, des déserteurs et des mutins…des hommes quoi.

Après deux semaines de traversée entassés dans un navire voilà nos «boys» américains débarqués sur notre sol prêts à en découdre contre des «teutons» aussi inconnus que le pays où ils viennent combattre.

Bienvenue dans les tranchées : vermine, rats, froid, boue, faim…et fin pour beaucoup !

Puis les assauts, les «nids» de mitrailleuses, les pluies d’obus et les combats au corps à corps à la baïonnette.

Terrible !

Comme la rencontre avec cet allemand blessé, agonisant, qui fouille dans sa veste pour sortir de sa poche…la photographie de sa fille.
«Le barbu a levé la main pour fouiller à l’intérieur de sa veste. J’ai cru qu’il allait nous jeter une grenade et je lui ai vidé mon pistolet dans le corps.»

Insupportable !

Comme ce soldat américian qui refuse de partir à l’assaut et qui sera froidement exécuté d’une balle par son supérieur.
«-Sors de là ! il a crié encore.
-Je vais pas plus loin, j’ai dit. J’en peux plus.»

Révoltant !

Comme ce courrier adressé aux parents d’hommes tombés au combat.
«…il avait compris que toutes ces choses auxquelles vous, sa mère, lui aviez appris à croire sous les mots d’honneur, courage et patriotisme, n’étaient que des mensonges…»

Hilarant !

Comme cette scène où tout un bataillon de soldats américains se retrouvent nus comme des vers dans un champ près de Belleville pendant que leurs vêtements cuisent dans une étuve.
C’est l’épouillage.
«Au bout d’un moment, le champ s’est retrouvé entouré de spectateurs, surtout des femmes, qui s’étaient assises dans l’herbe pour regarder…»

Emouvant !

Comme ce soldat américain qui clame : «J’apprendrai à lire ! Quand la guerre sera finie, j’apprendrai à lire !…»

Horrifiant !

Comme ces descriptions de blessures.
«Sa mâchoire avait été en partie emportée et elle pendait, mais quand il nous a vus il a tenu l’os décroché dans sa main et il a émis un son qui exprimait la peur et la soumission.»

Désespérant !

Comme ce jeune soldat qui vient de tuer un homme pour la première fois et qui pleure : «Je ne ferai plus jamais de mal jusqu’à la fin de ma vie…Plus jamais…Plus jamais !…»

Démoralisant !

Comme le retour au pays avec une gueule cassée, défigurée. Les retrouvailles avec celle qu’on aimait, avec elle qui vous aimait.
Celle qui vous retrouve et vous regarde et dit : »Si tu me touches, je vomis.»

La compagnie K a combattu dans l’Aisne, la Marne, la Meuse, à Verdun.

Rendons leur hommage en lisant ce livre remarquable de lucidité.
Dénonçons la guerre, toutes les guerres et ses planqués de généraux qui jouent aux petits soldats dans des salons onctueux de honte en lisant ce livre remarquable d’humanité.

Un chef-d-oeuvre ?
Peut-être…à vous de lire…à vous de le dire…

«La seule chose qu’on sait, c’est que la vie est douce et qu’elle ne dure pas longtemps.», dernières paroles du soldat Manuel Burt.

Quattrocento de Stephen Greenblatt

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Lucrèce (entre 98/94 et 55 av JC) restera le grand nom de l’épicurisme romain.
Son long poème en vers (7 400 héxamètres non rimés), « De la nature » (De rerum natura), hommage vibrant à Epicure, hymne insolent à Vénus la déesse de l’Amour, innovante vision scientifique du monde, nous parle, encore, plus de deux mille ans plus tard, de religion, du plaisir et du sexe, de la maladie et de la mort, de la nature, de la société.

Ce texte va influencer Shakespeare, Michel Ange, Boticelli, Montaigne (qui le cite abondamment dans ses Essais), Giordano Bruno, Machiavel.

Stephen Greenblatt nous raconte (nous conte merveilleusement), avec une érudition passionnante (jamais pesante, ni prétentieuse), la redécouverte de « De la nature » par l’italien Poggio Bracciolini, dit le Pogge en 1417 dans un monastère au sud de l’Allemagne.

Comment ces moines allemands ont-ils accueillis ce brûlot ?
Pourquoi ont-ils copié et recopié cette poésie sulfureuse ?
Comment et pourquoi ont-ils sauvé cette oeuvre révolutionnaire ?

Latiniste brillant, le Pogge fut « scriptor » (clerc chargé de rédiger les documents officiels de la curie), secrétaire apostolique puis « chasseur » de manuscrits de la Rome classique et de l’Antiquité.

C’est le début de la Renaissance et de ses humanistes.
C’est l’histoire de l’écriture, des rouleaux de papyrus à la naissance de l’Imprimerie en passant par les codex.
L’histoire mouvementée du douloureux passage des religions païennes au catholicisme.
L’histoire de l’agonie de l’Empire romain d’Occident.
L’histoire, souvent scandaleuse et parfois rocambolesque de la papauté.
L’histoire du devenir des textes païens remis à jour par les humanistes de la Renaissance.

Le Pogge va redonner vie (comme une renaissance), après des siècles de silence et d’obscurantisme, au poème radical de Lucrèce.
Ce texte, obscène et malfaisant selon l’Eglise catholique officielle prétend que l’âme se dissout après la mort, « ainsi du vin quand son bouquet s’est évanoui, du parfum dont l’esprit suave s’est envolé ».
Ce texte affirme que l’Univers n’a pas de créateur ni de concepteur, que la Providence est le fruit de l’imagination.
Ce texte voit la vie comme une recherche du plaisir.

Cet essai de Greenblatt est un coup de maître.
Non, non, cher lecteur, surtout ne fuyez pas, ce bel ouvrage se lit comme un roman.
Une véritable mine d’or d’histoire culturelle.
Un grand moment de lecture, les yeux écarquillés de bonheur d’apprendre.
Sincèrement recommandé.
Tiens, j’ai déjà envie de le relire…

« Les poèmes du sublime Lucrèce ne périront que le jour où le monde entier sera détruit. » Ovide

Un été avec Louise de Laura Moriarty

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« Il n’y a pas de Garbo ! Il n’y a pas de Dietrich ! Il n’y a que Louise Brooks ! » Henri Langlois

1922. Wichita dans le Kansas.
Les tranchées de la grande guerre fument encore en Europe. La grippe espagnole se répand sur le monde comme une trainée de poudre.
Les « Boys » sont de retour au pays de la prohibition.
Les femmes suffocent sous leurs corsets et les noirs dans leurs ghettos. Le Ku Klux Klan a le vent en poupe.

Cora Carlisle est « bien mariée » avec Alan avocat renommé.
Ils ont des jumeaux beaux grands et en bonne santé.
Cora est orpheline, recueillie, élevée au New-York Home for Friendless Girls. Adoptée par la famille Kaufmann. Plutôt bien tombée.
Mais de ce passé son présent a fait table rase…pour préserver le futur.
Mais que dirait-on si dans ce paisible Wichita on apprenait que la femme du célèbre Alan Carlisle avait été abandonnée à l’âge de quatre ans chez les soeurs des pauvres.

Dans ce Wichita étriqué vit aussi la famille Brooks. Myra et Leonard Brooks.
Des originaux comme on dit dans Wichita.
Des prétendus presbytériens qui ne vont jamais à l’église. Une mère qui joue du piano toute la journée au lieu de s’occuper de ses enfants et du Satie par dessus le marché. Un père juriste qui laisse sa maison s’effondrer sous le poids de livres pas toujours recommandables.
Une fille de quinze ans très délurée qui lit Voltaire et Schopenhaueur.
Petite et menue, la peau très claire, des yeux sombres, des cheveux très noirs, brillants et raides, coupés juste en dessous des oreilles.
« De part et d’autre du visage à l’ovale parfait, deux mèches dessinaient comme des flèches pointées vers une bouche charnue et sensuelle, et le rideau soyeux d’une épaisse frange s’arrêtait en une ligne bien droite au ras de ses sourcils. »
Espiègle, insolente…d’une beauté à couper le souffle, vous l’avez déjà reconnue, c’est Louise, Louise Brooks.
La future Louise Brooks ! La célèbre actrice du muet qui osa dire m…. aux ponts d’or et aux ors des pontes d’Hollywood.
Si vous ne connaisez pas encore les films de Louise Brooks courez vite regarder « Loulou » ou « Le journal d’une fille perdue » de Pabst, entres autres.
Magnifique et envoûtante !

La petite Louise rêve d’intégrer la prestigieuse école de danse de Denishawn à New-York.
Son père trop affairé, sa mère trop, comment dire, trop « pas assez mère et trop Eric Satie » ne seront pas du voyage.
Ils cherchent une chaperonne (quel vilain mot !).
Cora se propose.
Monsieur Brooks a réservé un appartement pour Louise et Cora à New-York à deux pas du New-York Home for Friendless Girls. Tiens, tiens…
Et c’est parti pour une belle, très belle, émouvante, très très émouvante histoire de deux vies parallèles.
Celle de la petite Louise qui va devenir la grande Louise Brooks.
Celle de Cora Carlisle qui va devenir…qui va devenir et bien je vous laisse ici car sinon je sens que je vais faire trop long et tout vous raconter tellement ce livre m’a plu.

Un beau coup de coeur que ce premier roman de Laura Moriarty publié en France.

Wilderness de Lance Weller

1864.Virginie. Etats-Unis (pas encore unis !). La terrible bataille de Wilderness. Guerre de Sécession. Entre les armées du général nordiste U. S. Grant et du général sudiste R. E. Lee.
Entre les Yankees et les Confédérés.
Plus de deux mille morts en deux jours.

Le vieil Abel Truman est un survivant (bien amoché, comme un vétéran du Vietnam ?) du cauchemar de la forêt de Wilderness.
«Au bout du champ, des silhouettes sombres équipées pour la bataille s’avançaient en rangs parfaitement rectilignes. Les soldats quittèrent l’obscurité des bois pour la clarté du champ, et la lumière qui se réfléchissait sur les canons des fusils et les baïonnettes les éclaboussa de tous ses miroitements.»
Ils arrivent…que le massacre commence !

Abel était un soldat sudiste. Engagé pour oublier, fuir un atroce drame familial.

Trente ans après, Abel (sur)vit dans une cabane délabrée.
Un vieux fauteuil à bascule, son chien et l’océan gris pour seul horizon.
Il décide de partir pour un ultime voyage…vers le passé.
Il rassemble ses affaires et ses tourments.
Son chien, sa vieille Winchester, sa canne, une couverture, un sac de provisions.

Sur le chemin du vieil homme, un Indien Haïda et Willis au visage déchiré, une oreille arrachée et un morceau de joue pendante et sanguilonente.
Mauvaise rencontre !
«Une douleur mordante et glacée, suivie d’une sensation de chaleur qui coulait lentement dans son cou. En ouvrant les yeux, Abel sut qu’une lame venait de lui taillader le visage.»
Son chien a disparu.

Laissé pour mort, Abel sera sauvé par Charley Poole.
Abel, le vieil Abel, va alors poursuivre ses agresseurs à travers les majestueuses Olympics Mountains enneigées, jusqu’à…jusqu’à ce que, cher lecteur impatient, vous lisiez la suite de l’épopée d’Abel…
Lance Weller nous offre là un superbe premier roman, impeccablement traduit.
Lance Weller sait nous peindre l’océan, les plages, les forêts, un feu de camp…la guerre.
Lance Weller fait battre le coeur usé d’Abel.
Lance Weller fait battre le coeur douloureux de l’Amérique.

Une autre histoire de l’Amérique.
Très émouvant, très poignant.

«- Et Abel ? demanda-t-elle.
– Il est mort.»

Incident à Twenty-Mile de Trevanian

La promesse de l’Amérique.

«Twenty-Mile est moribonde.
Et ses habitants sont la lie de l’humanité : les paresseux, les poissards, les perdants, les perdus, les piteux, les péteux, les petits. Et là, je te fais que les P, nom de Dieu !»

Twenty-Mile est une bourgade fantôme du Wyoming.
Un cimetière trop grand aux épitaphes plus que douteuses : «Maintenant, au tour de ma femme !» ou «Je ne suis pas mort, je dors. »
Un cimetière hanté d’arracheurs de dents, de chercheurs d’or et de putes aux robes rouges…et même une Mule !
Ici, le dernier shérif est parti depuis bien longtemps…
Un saloon, un hôtel (de passe), un barbier, un Grand Magasin.
C’est à peu près tout.
Une mine, le Filon Surprise, appartenant aux marchands de Boston, déverse, chaque samedi, d’un train bondé, sa horde assoiffée dans les rues de Twenty-Mile.
Respirer un peu avant de replonger sous terre.
Nous sommes en 1898.

La conquête de l’Ouest s’achève dans ses dernières désillusions.
«C’était comme ça. Quand vous arriviez, vous vous faisiez exploiter par ceux qui étaient arrivés avant vous. Puis, si vous étiez malin et travailleur, et chanceux, faut pas oublier chanceux, vous pouviez devenir des exploiteurs à votre tour.
C’était la Grande Promesse de l’Amérique !»

C’est l’Amérique des villes en bois où le seul bâtiment construit en pierre est la prison. L’Amérique où les révérends posent leur revolver sur leur table de chevet…près de la Bible.
L’Amérique avec foi, sans loi.

Quand arrive en ville, Matthew, dit Le Ringo Kid, dit Chumms, dit Dubchek.
Pour tout bagage : un vieux fusil qui date de Mathusalem, un lourd secret et un fichu bagout.
Un sacré numéro, un caméléon, un fieffé menteur. Un jeune freluquet qui s’abreuve de légendes de l’Ouest, déjà.
Il a lu tous les livres des aventures du Ringo Kid écrites par Anthony Bradford Chumms. Le Ringo Kid s’en sort toujours.

Il va réussir à se faire adopter par la communauté, peu accueillante de Twenty-Mile.
«Il avait réussi à s’insinuer dans la communauté, maintenant il lui fallait se rendre indispensable.»

«Qu’est-ce qui est le plus important à avoir dans la vie ? La beauté ? L’intelligence ? La richesse ?
– Le respect, dit Matthew sans hésiter. »

Matthew va t-il s’amouracher de Ruth Lillian à la chevelure rouge cuivre qui capte des myriades de granules de lune ou sombrer, corps et âme, dans le corps trop plein de promesses, trop plein de péchés de Kersti.
Jusque là, tout va, à peu près, bien…

Quand arrive ce Lieder.
Ce Lieder est un fou. Qui cite des Evangiles, bien à lui, à tout bout de champ. Il veut se battre contre la plaie des immigrants venus infester son pays béni. Il veut monter une milice pour une Amérique libre, éradiquer les barons de Wall Street.
La croisade d’un illuminé.
Un sadique qui va semer la terreur dans Twenty-Mile.
Il veut piller le train de la mine d’argent.
Il veut montrer la Lumière et la Voie aux mineurs.
Lieder vient de s’évader de prison en compagnie de Minus et Mon-P’tit-Bobby, deux tueurs très, très attardés.

Twenty-Mile va connaître l’enfer.
Et dans cet enfer les femmes vont souvent montrer plus de courage que les hommes.
«La plupart des hommes sont prêts à subir des tonnes d’humiliation juste pour continuer à vivre.»

Et Trevanian va nous entraîner, nous ligoter carrément (à la chaise de lecture), le fil à la patte, au fil des pages, dans cette histoire mythique de l’Amérique.
Les trois tristes filles de joie au coeur tendre, Frenchy la Noire à la cicatrice qui lui strie le visage du coin de l’oeil au coin de la bouche, Chinky, la petite chinoise, et la vieille Queeny sont inoubliables.
Si le lecteur, ne l’oublions pas, toujours attaché à sa chaise, pouvait secouer les puces de Matthew ou se débarrasser de ce Lieder, il le ferait volontiers !

Un western terrible qui va crescendo pour nous laisser, pantois, au bord du gouffre.
Tout y passe : la cruauté, la lâcheté, le courage, le racisme et les illusions perdues.
Le style de Trevanian est impeccable, efficace, cruel et tendre, légèrement épicé d’humour, pas trop tout de même, faut pas exagérer, cela reste du Trevanian.
La traduction est irréprochable.

Un moment de lecture mémorable !

«Méfie-toi de l’homme qui ne connaît qu’un livre !»

Trevanian est l’un des auteurs les plus mystérieux de ces dernières années. De lui, on sait peu de choses. Américain, il a vécu dans les Pyrénées basques et il est probablement mort en 2005. Ses romans se sont vendus à des millions d’exemplaires dans le monde et ont été traduits en plus de quatorze langues.

Si je meurs au combat de Tim O’Brien

« Une nuit, ils ont fait une erreur…Trente-trois villageois ont été blessés. Treize tués, dont Bi Thi Cu, deux ans; Dao van Cu, le frère de Bi, quatre ans; Le Xi, deux ans; Dao Thi Thuong, neuf ans; Pham Thi Ku, quatre ans; Pham Khanh, quinze ans; Le Chuc, huit ans; Le Thi Tam, dix ans…des enfants. »

Tim O’Brien est né en 1946 à Austin dans le Minnesota.
Ouvertement contre la guerre du Vietnam, il pense d’abord déserter au Canada ou en Europe mais sera finalement incorporé dans la Troisième Section, où il passera un an, en 1969 et 1970.

Dans « Si je meurs au combat » O’Brien témoigne.
C’est désormais un classique sur la guerre du Vietnam.
La guerre au quotidien. La peur, le courage, la lâcheté, la folie.
Le massacre de My Lai, le racisme, les drogues pour tenir, les ordres absurdes et contradictoires, les politiques planqués dans leurs bureaux…
La guerre vécue et vue par un grand écrivain.

Impressionnant !

« On n’était pas tous des lâches. Mais gagner la guerre, c’était pas notre unique vocation. »

Les frères Sisters de Patrick deWitt


«Nous sommes du même sang mais nous n’en faisons pas le même usage.»

J’avais adoré les frères loufoques «Homer et Langley», de E.L . Doctorow, paru également chez Actes Sud. Sorte de conte philosophique à la «Candide» de Voltaire dont je ne me lasserai pas de conseiller la lecture jubilatoire.
Aucun rapport avec ce livre, sauf une histoire de deux frères.
Bon, passons…

Là nous voilà partis dans une aventure du grand mythique Far West.
Sorte de roman-western toqué d’absurde où se mélangent, se confondent, se chevauchent le comique et le tragique.
Sorte de picaresque chevauchée effrénée où le lecteur galope (du coq à l’âne) de courts chapitres en courts chapitres, au gré, à la merci des rencontres que s’amuse à nous proposer l’auteur Patrick DeWitt.
DeWitt, cela se sent à la lecture, a bien dû s’amuser à l’écrire.
Le lecteur, cela se sent à l’écriture, s’amusera à le lire.
Bon, passons…

1851, nous suivons les frères Sisters, Eli et Charlie Sisters en Californie.
Deux frères déjà légendaires dans l’ouest américain.
Deux tueurs à gage : stupides et cruels mais…si attachants !
Eli et Charlie ne sont jamais du même avis.
Toujours à se contredire, à se chamailler…comme deux gamins.
Laurel et Hardy au Far West, le film.
Sorte de Don Quichotte sous acide «Orange Mécanique», fumant comme un «Pulp Fiction», ardent de braises à la McCarthy.
C’est possible ça ?
Humour noir, cadavres pas toujours exquis, dialogues insensés…
Recherche de l’amour, de la Mère éternelle…pour les adeptes du «freudisme» (si, si, ça existe, croyez-moi, j’en ai vus de mes propres yeux). La maison-mère, à l’abri de tous les dangers et de toutes les horreurs de l’existence. «Ses cheveux, son visage et son cou sentaient le sommeil et le savon. »
La mère qui console…qui absout…
Bon, passons…

Les frères Sisters donc.
Eli franc du mot, Charlie franc de la gâchette (qui abat «nonchalamment» ses victimes…parfois innocentes).
Eli se pose beaucoup, beaucoup de questions.
Charlie l’aîné, beaucoup, beaucoup moins.
C’est Elie qui nous raconte l’histoire.

Deux sanguinaires tueurs à gage, dis-je.
Sur odre du mystérieux «Commodore», nos deux frangins doivent traquer Hermann Kermit Warm, un chercheur d’or.
«Qu’est-ce qu’il a fait, ce Hermann Warm ?
– Il a pris quelque chose au Commodore.
– Qu’est-ce qu’il a pris ?
– Nous le saurons bientôt. Avant tout, il faut le tuer.»

Et nous voilà en selle pour la chevauchée fantastique.
Sur le chemin, nous allons rencontrer, en vrac : un ex cowboy improvisé dentiste, un homme qui pleure tout le temps, une sorte de sorcière, un indien mort, un serveur de restaurant philosophe, une brosse à dents révolutionnaire, des trappeurs déguisés en ours, une ourse rousse, un dandy «épistolaire» trop précieux, une «énaurme» fille de joie, un cheval borgne, une rivière illuminée, des castors qui roulent sur l’or, de l’or qui rend aveugle et j’en passe et des plus farfelues…
Et tous ces personnages improbables de parler un langage précieux digne d’un salon de l’Hôtel de Sully en plein XVIIIe.
Mais où va t-on ?

Né en 1975 sur l’île de Vancouver, Patrick deWitt vit actuellement à Portland, Oregon.
«Les Frères Sisters» a figuré dans la dernière sélection du Man Booker Prize 2012, la plus haute distinction littéraire aux États-Unis et a remporté le prix littéraire du Gouverneur général, le prix de l’Association des auteurs canadiens et a été élu meilleur livre de l’année par le Publishers Weekly.

Bref, un livre attrayant, repoussant, inquiétant, émouvant.
Comme une impression d’irréalité…

«Croire en une source diabolique supernaturelle n’est pas nécessaire ; les hommes sont capables de toutes ces méchancetés par eux-mêmes.» Joseph Conrad

Bon passons et bonnes lectures…et comme dit si bien Eli Sisters : «Jamais je ne serai un meneur d’hommes, et je n’ai aucune envie de l’être ; mais ne souhaite pas non plus être mené. je veux rester maître de moi-même.»

Dans le jardin de la bête de Erik Larson

 » On compare parfois la cruauté de l’homme à celle des fauves, c’est faire injure à ces derniers.  » Fiodor Dostoïevski.

Erik Larson, auteur américain né en 1954 à Brooklyn, est un abonné aux best-sellers dans le genre romans historiques et policiers.
« Le Diable dans la ville blanche » se situe dans le Chicago du XIXe pendant l’exposition universelle.
« Dans le jardin de la bête » nous plonge dans le Berlin de 1933 aux côtés de William E. Dodd, premier ambassadeur américain en Allemagne nazie.
Ce livre n’est pas une oeuvre de fiction.
C’est une sorte de « documentaire-fiction » construit à partir de documents historiques, journaux intimes, lettres, mémoires, archives…Travail monumental de recherche et de synthèse.
Erik Larson n’aura pas fait des études d’Histoire pour rien.
Avant tout, et j’insiste, ce livre est très agréable à lire. Il se lit (presque) comme un roman (mais tout de même pas comme un thriller comme annoncé sur la jaquette du livre, qu’est-ce qu’on ferait pas pour vendre, bon passons).

En parallèle je conseille de lire le poignant témoignage de Inge Scholl « La rose blanche ». Quelques allemands ont eu le courage de résister au nazisme. Il ne faut pas l’oublier. Il ne faut pas les oublier.

1933 : Hitler vient d’être nommé chancelier et commence à installer son impitoyable pouvoir.
Dodd a soixante-quatre ans quand il est nommé ambassadeur à Berlin.
Il s’installe dans sa nouvelle fonction avec sa femme Mattie, sa fille Martha (vingt-quatre ans) et son fils William Jr (surnommé Bill, vingt-huit ans).
En Amérique Dodd était directeur du département d’Histoire de l’université de Chicago. Jeune étudiant il avait séjourné en Allemagne.
Nous allons vivre dans l’ambassade américaine, au jour le jour, heure par heure : conversations téléphoniques, échanges de courrier, discussions…
Nous allons côtoyer de très près Hitler, Göring, Goebbels, Rudolf Diels (le premier chef de la Gestapo), Roosevelt, G. S. Messersmith consul à l’ambassade (un des premiers à avoir sonné l’alarme…en vain…).
Suivre pas à pas, tel un témoin désarmé, les faits et gestes de cette époque inquiétante. La montée en puissance du nazisme.
Les premiers autodafés, les premiers défilés et saluts hitlériens obligatoires, les premiers sévices de la Gestapo, les premiers camps.
Jusqu’à la « Nuit des longs couteaux » en juin 1934.
Erik Larson nous fait « relire » deux ans d’Histoire.
Deux années décisives d’hésitation, de naïveté, d’incompréhension, de sourdes oreilles, voire d’ambiguïté des grandes démocraties comme les Etats-Unis, la Grande Bretagne…la France.
Un nouvel éclairage qui pourra satisfaire les allergiques aux lourds essais, les susceptibles de la magistrale leçon d’Histoire ou les perméables aux thèses politiques.

En 1933, le consul Messersmith écrit, déjà : « J’aimerais, écrit-il, faire comprendre aux Américains que cette tendance belliqueuse se développe en Allemagne. Si leur gouvernement se maintient au pouvoir encore une année, et s’il continue à agir dans le même sens, il avancera à grand pas dans une direction : faire de l’Allemagne un danger pour la paix mondiale dans les années à venir. À part quelques exceptions, les hommes qui dirigent ce gouvernement ont un état d’esprit que ni vous ni moi ne pouvons comprendre. Quelques-uns sont des psychopathes qui ailleurs seraient sous traitement. »

Alors pourquoi personne n’a-t-il réagi ? Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour prendre la mesure du danger que représentaient Hitler et son régime ?

Je n’ai pas la réponse…sinon à chercher dans la nature humaine…

Putain d’Olivia de Mark Safranko


Sacré Max !

Bien content de retrouver le p’tit Max.
Max le fils d’immigré polonais que j’avais découvert dans « Que Dieu bénisse l’Amérique. »
Max a grandi et vit maintenant avec cette « putain » d’Olivia (Livy pour les intimes).

Jimmy Carter vient d’être élu président des Etats-Unis.

Max vivote de petits boulots en petits boulots : manoeuvre, livreur de journaux, et même astrologue…
Logement pourri et dèche à la fin du mois.
Il a un rêve : devenir écrivain.
« A présent que j’avais du temps devant moi, j’allais écrire. Faire ce que, je l’avais lu, faisaient les vrais artistes : se lever aux aurores, se planter à leur établi dans la divine quiétude de l’aube, et attendre d’être frappés par l’éclair de l’inspiration. Si ça marchait pour eux, pourquoi ça marcherait pas pour moi ? »

Oui mais voilà, Max est dingue amoureux de Livy et Livy n’est pas très facile à vivre !
Une vraie peste cette Livy.
« Si j’étais endormie au vingtième étage d’un immeuble en flammes, te précipiterais-tu à l’intérieur pour me sauver, même si tu risquais sûrement de mourir en le faisant ? »

Ah, l’amour, toujours l’amour…

Max aime lire (Simenon, Henri Miller…), jouer de la guitare, boire sa bière tranquille sur son canapé et aimer Livy.
Pas compliquée la vie !

Ce que j’apprécie chez Mark Safranko, c’est son autodérision.
Même quand t’as plus rien, « Il te reste plus qu’à rire de toi-même… »

Je l’aime bien ce Max.

Home de Toni Morrison


Ici se dresse la littérature.

«Home» chante-hante le blues.
Comme le «Strange Fruit» de Billie Holiday.

«Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black body swinging in the Southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees. »
(Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir qui se balance dans la brise du Sud,
Étrange fruit suspendu aux peupliers.)

Comme ce vieil homme battu à mort, puis «ligoté au plus vieux magnolia du comté».

C’est le dixième roman de Toni Morrison.
Incisif. Percutant.
Une Amérique des années 50 à la dérive.
Habitée de lynchages et de cagoules blanches.
Un be-bop complexe et silencieux qui nous poursuit. Comme ce batteur infatigable viré de scène par le trompettiste et le pianiste.
Un cauchemar au tempo endiablé.

«Puisque vous tenez absolument à raconter mon histoire, quoi que vous pensiez et quoi que vous écriviez, sachez ceci : je l’ai vraiment oublié, l’enterrement. Je ne me souvenais que des chevaux. Ils étaient tellement beaux. Tellement brutaux. Et ils se sont dressés comme des hommes.»

Ecriture puissante qui prend à partie le lecteur.

Frank Money (nom d’esclave donné par le «bon» maître blanc) revient de nulle part. De la guerre de Corée. De l’enfer.
«Un autre enfant ayant seulement la moitié inférieure du visage intacte, et dont la bouche criait maman».
De quoi se perdre dans l’alcool.
De quoi se perdre…
Sa petite soeur Cee, née dans le ruisseau, élevée «à la main »(comme dirait Dickens) qui n’en finit pas de mourir à petits feux.
Lui c’est Hansel. Elle sera Gretel.
A la recherche de l’Amérique.

Toni Morrison, 81 ans, Prix Nobel de littérature 1993, signe un chorus entêtant.
Un écho féroce, presque militant.
Un appel retentissant à lever le poing !

«Ici se dresse un homme.»

Bois Sauvage de Ward Jesmyn


En attendant Katrina.

L’ouragan Katrina (2005) est l’un des ouragans les plus puissants dans l’histoire des États-Unis : environ deux mille personnes sont mortes.
Avec son œil large de 40 kilomètres, ses vents ont pu atteindre jusqu’à 280 km/h.

«Je suis petite mais je vois bien des choses. Mon corps est un oeil sans limite qui malheureusement, voit tout.» (Gloria Fuentes)

C’est Esch qui raconte. Elle a quatorze ans.
Elle vit avec ses frères : Randall, Skeeter et Junior.
Et le père qui tient une casse. Il récupère tout ce qui ne sert plus à rien.
Il récupère surtout des bouteilles d’alcool, ça peut servir.
Le père boit souvent la tasse.
La mère est morte en donnant la vie au petit dernier, Junior.
«Elle est restée accroupie à hurler jusqu’au bout. Junior est né violet comme un hortensia : la dernière fleur de sa vie. Quand papa lui a montré, maman l’a effleuré du bout des doigts comme si elle avait peur de la flétrir, sa fleur, d’éparpiller le pollen. Elle refusait d’aller à l’hôpital. Papa l’a portée jusqu’à la voiture, le sang coulait à ses pieds, on ne l’a jamais revue.»

C’est cru, c’est rude, c’est violent dans le style.
C’est cru, c’est rude, c’est violent dans le bayou.

Ils vivent dans la Fosse, au milieu de la clairière, dans le bayou du Mississipi.
Le Mississipi, berceau du blues, de la ségrégation et de la misère.
L’arbre misérable qui cache la riche forêt des Etats-Unis.
Des vieilles dames en bigoudis et en pantoufles, avec des T-shirt trop grands. Des filles en survêt et en débardeur. Des garçons à casquettes et baskets sur leurs vélos. Voilà pour le décor.
Les jeunes passent du sale temps en se baignant dans une mare infestée de puces, en jouant au basket dans des semblants de paniers, en fumant de la mauvaise herbe, en élevant des chiens pour les entraîner aux combats, en faisant l’amour à la «va-comme-je-te-pousse. »
Chienne de vie !
En attendant Katrina : clouer des planches sur les fenêtres, faire le plein du pick-up et le mettre à l’abri, rentrer des bouteilles d’eau, mettre à cuire tout ce qu’il y a dans le frigo, et attendre, attendre que ça passe.
Et ça passe et ça casse.
«L’ouragan hurle, l’eau et le vent se précipitent par la fente, on regarde, les yeux presque fermés. J’ai de l’eau au-dessus des cuisses. La maison penche encore.»

L’écrivaine américaine Jesmyn Ward remporte le prestigieux National Book Award 2011 pour «Bois Sauvage».
Doté de 10 000 dollars pour le lauréat, le National Book Award est l’une des plus prestigieuses distinctions littéraires des Etats-Unis.
Lors de la cérémonie de remise de prix, Jesmyn Ward a déclaré que c’était la mort accidentelle de son frère qui l’avait poussée à devenir écrivaine. Elle a alors pris conscience que la vie était « quelque chose de fragile et d’imprévisible ».

Lecteur touché en plein coeur de l’ouragan.
Touché par les coeurs en vrac d’une famille afro-américaine qui bat la chamade.
L’Amérique à coeur ouvert.
Jesmyn Ward voit bien les choses. Des mots sans limite qui malheureusement, voient tout.
Jesmyn Ward a l’oeil, l’oeil du cyclone !

Homer & Langley de E.L. Doctorow


Elle est où la vraie vie, dites, elle est où ?

«Je suis Homer, le frère aveugle.»

Homer vit avec son frère Langley dans une immense maison de la Cinquième Avenue à New York, près de Central Park.
Langley est le frère aîné. «C’est un ancien combattant qui a participé,avec bravoure à la Grande Guerre et dont les efforts lui ont coûté la santé. Quand nous étions jeunes, ce qu’il collectionnait, ce qu’il ramenait à la maison, c’étaient ces minces volumes de poésie qu’il lisait à son frère aveugle.»

Langley est le philosophe. Il théorise même une théorie du Remplacement. A vous de voir…
Langley est le collectionneur. Il collectionne la presse quotidienne dans le but (ultime ?) de créer LE numéro universel et intemporel, un numéro unique pouvant être lu et relu à pérpétuité.
Chaque information est triée par catégories : invasions, guerres, massacres, accidents de la route, de chemin de fer et d’avion, scandales amoureux, scandales écclésiastiques, etc, etc.
Le «Collyer’s Journal».
Pas étonnant alors que la maison des frères Collyer soit envahie de ballots de journaux du sol au plafond.
«A cette époque de nos vies, la maison était un labyrinthe de sentiers hasardeux, plein d’obstructions et de nombreux culs-de-sac. Avec assez de lumière, on pouvait s’y retrouver dans les corridors qui zigzaguaient entre les ballots de journaux… »
Langley collectionne tout. Les parapluies, les machines à écrire (un inventaire à la Prévert : la Royal, la Remington, la Hermès, la Underwwod, la Smith-Corona, la Blickensderfer n°5), les moteurs, les télévisions, tout, tout, tout et n’importe quoi.
Il installe même une automobile modèle Ford T. dans le salon.

Homer est le musicien. Il joue du piano.
Il est celui qui raconte. Celui qui écrit.
«Il se trouve qu’écrire correspond à mon désir compensatoire de rester en vie.»

Les frères Collyer vivent reclus dans leur maison.
Où est l’intérieur ? Où est l’extérieur ?
C’est la vie qui vient chez eux. Le monde. L’Histoire.
Suffit juste d’être accueillant et curieux.
L’Histoire passe chez eux, se passe chez eux.
La Grande Guerre, la prohibition, la deuxième guerre mondiale, la guerre du Vietnam, les hippies, le progrès technologique, etc, etc.
«Ne vois-tu pas ? l’ultime performance technologique consistera à échapper au désordre que nous avons créé.»
Les femmes passent aussi. L’amour. Mais les frères Collyer ne sont pas très habiles en amour.

Ce livre de Doctorow est une sorte, un genre, un drôle de conte philosophique. A la «Candide» de Voltaire.
Homer serait le Candide et Langley le Diogène.
Ou bien une sorte, un genre, une drôle d’allégorie de la caverne…mais à l’envers !
Les deux frères cultivent leur jardin…à la maison !

Tout y passe. Accumulation absurde d’événements édifiants, scepticisme envers la Providence, prépondérance du hasard, médiocrité de l’homme montrée du doigt (démontrée par le regard aveugle d’Homer et le cynisme de Langley), ineptie des dogmes religieux, dégâts (collatéraux ?) du fanatisme…les fameux moutons de Panurge chers à Voltaire.
Doctorow sait jouer de l’ironie. Un virtuose.
Une sorte, un genre, une drôle de parodie d’épopée !

Difficile de raconter ce livre tellement il est, hum, comment dire, fou, fou, fou !
Certains passages sont à se tordre de rire.
Si le conte philosophique a pour but de distraire tout en nous interrogeant, celui-là a tout juste !
Hilarant et tendre ! Hypersensible et terriblement cruel.
Bon sang, ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un si bon livre.
Ce livre-là je vais l’offrir à pas mal de monde autour de moi. Sûr.

Il faut rester raisonnable toutefois et savoir faire court, mais ce que j’ai dit en dit assez long sur mon sentiment sur ce livre, alors je conclue, cher lecteur, lisez ce livre…GENIAL !

«Nous avions une blague, Landley et moi : un mourant demande s’il y a une vie après la mort. La réponse est : Oui, mais pas la tienne.»

Dieu bénisse l’Amérique de Safranko

«Ce n’était pas censé se passer comme ça, dans le rêve américain.»

L’Amérique des années cinquante-soixante.
Au 810 Iowa Avenue à Trenton dans le New Jersey.
«Une rue cradingue dans un ghetto de réfugiés d’Europe de l’Est. »

Max, fils d’immigrés polonais.
«Je suis Max Zaajack. Mon casier est vierge.»

Le petit Max raconte son enfance dans une Amérique qui sort, tête haute, de la deuxième guerre mondiale, qui s’embourbe au Vietnam et qui plonge, hébétée, dans les révoltes des guettos noirs, qui joue du rock et enfante les hippies, qui assassine ses présidents, comme une habitude.
Une Amérique qui meurt et qui renait.
Avec ses déclassés et ses profiteurs.
Avec ceux qui meurent et ceux qui naissent.
«Tout n’était que Bonheur et Prospérité, Famille et Dieu. Le grand carnage, la Seconde Guerre Mondiale, était terminé depuis quelques années, les jeunes gars étaient de retour sur le sol de la mère patrie et ils se mariaient, achetaient des maisons et baisaient comme des lapins dans leurs clapiers à crédit.»

Un père violent et une mère qui finira folle.
«A la maison, la violence était le seul motif pour se toucher. Ni baisers, ni câlins. »
La tendresse ça existe…ailleurs.
Le regard d’enfant est sans pitié, sans appel.
«Le père et son rejeton étaient affectueux l’un envers l’autre. Il riaient, plaisantaient, se prenaient par l’épaule. Je n’avais jamais rien vu de pareil. J’avais envie de gerber.»

Le regard d’enfant est sans pitié, sans appel.
«Le rêve américain, c’est un type vétu d’un pantalon taché de merde, d’une chemise bouffée par les mites et de chaussures attachées avec des élastiques, mâchonnant un cigare ramassé dans le caniveau.»

Ce livre est parfois hilarant, parfois sinistre.
Souvent les deux…en même temps.
Le lecteur lira et rira, à en pleurer, les scènes chez le coiffeur, les vacances au Canada, la partie de golf. Entre autres.
Le lecteur lira et s’indignera, à en pleurer, les scènes de la randonnée scoute, de la partie de pêche ou des cours de la Soeur Angélica.
Entre autres.

Le spectre de l’appel à la mort menace Max comme de nombreux «pauvres» américains.
«Je ramasse l’avis par terre et je le relis, lentement cette fois. Il faut regarder la réalité en face. D’ici quelques semaines, je pataugerai dans une rizière et je jouerai à cache-cache avec le Viet-cong.»

A mélanger avec «Bienvenue à Oakland» de Eric Miles Williamson et «Cheyenne en automne» de Willy Vlautin, vous remuez bien le tout et vous voilà, cher lecteur, dans une Amérique à remuer les tripes.
Non, cher lecteur, vous n’êtes pas livré aux répugnances, ne détournez pas la tête vers la dernière rassurante et tranquillisante livraison estivale de Guillaume Musso, ce livre est, malgré les apparences, malgré tout, très réjouissant à lire.
De plus avec une couverture pareille vous allez faire sensation sur la plage !

«Rien n’est inventé. C’est juste que la force m’est venue d’agripper cette grosse masse de réalité et de la balancer d’un seul coup sur ma page.» (Pedro Juan Gutiérez)

J’applaudis, encore et encore, les Editions 13e Note Editions !

La talon de fer de Jack London

Né à San Francisco en 1876, Jack London est issu d’un milieu misérable et marginal. Il parvient au succès après des années de pauvreté, de vagabondage et d’aventures en écrivant «L’Appel de la forêt».

Nous sommes ici loin du Jack London de « L’appel de la forêt » ou de « Croc-blanc ». Ames sensibles, passez votre chemin.
Le « Talon de fer », paru en 1908 (notez bien cette date !), décrit une révolution socialiste qui serait arrivée entre 1914 et 1918 aux Etats-Unis.
Trotski considérait « Le Talon de fer » (1908) comme le seul roman politique réussi de la littérature.
Avis Everhard, jeune fille intellectuelle issue de la bourgeoisie tombe amoureuse d’Ernest un socialiste révolutionnaire. Sur cette douce et tendre toile amoureuse London peint (au vitriol ! à la dynamite ! que dis-je, à boulets…rouges !) le soulèvement de la classe ouvrière américaine. Une lutte des classes impitoyable qui finira dans le sang. D’un coup de talon de fer les capitalistes écraseront le peuple. C’est un véritable roman d’anticipation, de science-fiction que nous a laissé London…toujours de chaude actualité (on y parle déjà de désastreux subprimes et d’outranciers dividendes). Un livre uchronique ? De plus ce récit respire la vie à plein poumons : dialogues et descriptions sont précis, alertes, réalistes. En supplément London nous gratifie d’un humour grinçant, corrosif, motivant à lire. Bien sûr on pourra reprocher à London, trop démonstratif, une certaine naïveté teintée de beaucoup de machiavélisme (le fameux, le légendaire, l’idyllique prolétariat n’est pas toujours ce que l’on « croit », celui qu’on croit, l’histoire l’a maintes fois démontré) mais tant pis, tant mieux, on se laisse aller dans cette Amérique qui ressemble étrangement à notre Europe de l’époque. (London proclame la Commune à Chicago le 27 octobre 1917 ! 1917 ? Tiens, tiens !)
Une écriture engagée et engageante qui n’engage que l’auteur !
Etonnant de lucidité ! Un Jack London visionnaire !
Un petit passage sur la presse : « La presse des Etats-Unis ? C’est une excroissance parasite qui pousse et s’engraisse sur la classe capitaliste. sa fonction est de servir l’état de choses en modelant l’opinion publique et elle s’en acquitte à merveille. »
Pas tendre avec les journalistes le Jack !

Cheyenne en automne de Willy Vlautin

« Ce matin-là, très tôt, quand j’ai ouvert l’oeil, c’était déjà l’été. Sans quitter mon sac de couchage, j’ai regardé par la fenêtre. Le ciel était clair et bleu, presque sans nuages. »

Ainsi commence l’histoire de Charley Thompson.

J’ai un faible pour les livres publiés par la toute jeune maison d’éditions (quatre ans d’âge) « 13e note Editions ». J’avoue.
Spécialité maison : la découverte de jeunes auteurs américains nourris aux John Fante, Henri Miller, John Steinbeck ou Raymond Carver.
Rien que du bon !

Et là, ce Willy Vlautin que je ne connaissais pas, c’est du bon.
J’ai adoré !
Un délice de lecture. Un régal. Que du plaisir.
Style épuré, mots simples, sobriété mais avec plein, plein d’émotions et d’humanité cachés dessous.

L’histoire ?
C’est celle de Charley Thompson, 15 ans, une sorte de Huckleberry Finn à la Mark Twain.

Mère inconnue, père à la dérive.
Charley se débrouille pour vivre. Comme il peut. Seul.
Vols à l’étalage pour se nourrir.
Charley aime courir. Il rêve de devenir un champion de football américain.

Il va rencontrer Del, un vieil homme gérant d’une écurie de chevaux de courses. Ecurie, chevaux, tout est à l’image du bonhomme : en piteux état.
Charley va travailler pour lui : nettoyer les écuries, promener les chevaux…faut bien manger.
Charley va s’attacher à un cheval nommé « Lean on Pete »
…faut bien se confier à quelqu’un.
« Lean on Pete » est le titre original du livre.
Mais les aventures de notre Charley ne font que commencer…
Il va aller de rencontres en rencontres, de caravanes délabrées en ranchs abandonnés, de villes en villes, de motels en motels à travers une Amérique loin, très loin de l’Amérique que chantait Joe Dassin (pas mal comme référence, non? faudrait voir à réviser vos classiques de la chanson française).
L’Amérique de la malbouffe, des déclassés, des alcooliques et des drogués.
Attention, je vous vois venir avec vos grosses bottes de cow-boys toutes crottées, vous commencez à râler, oui, encore un bouquin dégoulinant de misérabilisme, du bien sordide quoi.
Mais non. Tout le contraire. Ce livre est très attachant, très tendre.
Vous aurez beaucoup, beaucoup de peine à quitter Charley et je vous vois même déjà verser une petite larme…ça la fout bien pour un cow-boy !

Digne des plus grands « dirty realists » américains.
Sais pas si je vous ai convaincus de lire ce livre mais je vous le dis bien clairement : lisez ce livre !

« Mes personnages acceptent leur sort. Pour eux, ce n’est pas tant une lutte pour s’en sortir, qu’une lutte quotidienne pour rester à flot. » W Vlautin

Méditations en vert de Stephen Wright

L’auteur, Stephen Wright, 64 ans, ancien du Vietnam, de retour de guerre, se lance à l’assaut de l’écriture. Professeur à Princeton, il enseigne aujourd’hui l’écriture à New-York.

Dans une jungle obsédée de vert, l’auteur nous immerge, jusqu’à suffoquer, dans les boues nauséabondes de la guerre du Vietnam.
Le soldat James Griffin, de l’unité de renseignement militaire (un alter ego de l’auteur ?) se bat pour conserver, sauver sa santé mentale et…sa peau…
Beaucoup de ses camarades de « casse » finiront morts au combat ou reviendront au pays…morts-vivants.
Le style hyperréaliste de l’auteur (impeccablement traduit) cauchemardera le lecteur. Décidément, cette guerre « d’appelés » a terriblement et durablement traumatisé le peuple américain.
James Griffin, la guerre finie, se réfugie dans l’étude des plantes vertes intérieures (l’obsession du vert ?). Auprès de sa petite amie Huey, une artiste-peintre loufoque et de son copain Trips, un rescapé-déglingué du Vietnam, James tente de se reconstruire dans une Amérique qu’il ne reconnaît plus…une Amérique qui ne le reconnaît plus.

Ce livre est difficile, mais il contient aussi des passages souriants : la description du camp militaire comme un guetto hippie, la permission ratée à Saïgon, la préparation de la visite des lointains chefs, par exemple.
Rire nerveux du lecteur au détour d’un dialogue, d’une scène.
Car tous ces soldats sont, deviennent plus ou moins dingues. Souvent drogués (à écouter « Foxy Lady » de Jimi Hendrix), alcoolisés (à se battre dans le mess des Officiers), mais surtout apeurés, ils ont tous « un grain ».

La guerre finie, le livre fermé,
le retour à la réalité est dur pour tout le monde !

Le feu sur la montagne de Edward Abbey

Edward Abbey (1927-1989), personnage emblématique et contestataire, est le plus célèbre des écrivains de l’Ouest américain. Le succès du Gang de la Clef à Molette, paru en 1975, a fait de lui une icône de la contre-culture et le pionnier d’une prise de conscience écologique aux Etats-Unis. A sa mort, il demanda à être enterré dans le désert. Aujourd’hui encore, personne ne sait où se trouve sa tombe.

Le ranch de John Vogelin est toute sa vie. Sous le ciel infini et le soleil éclatant du Nouveau-Mexique, le vieil homme ne partage sa terre qu’avec les coyotes, les couguars et autres animaux qui peuplent les montagnes et le désert.
Jusqu’au jour où l’US Air Force décide d’y installer un champ de tir de missiles. Déterminé à défendre sa terre, le rancher irascible et borné engage alors un bras de fer avec l’armée.
Or un vieil homme en colère est comme un lion des montagnes : acculé, il se battra jusqu’à la mort.
Un héros magnifique, une histoire d’amitié émouvante entre un grand-père et son petit fils, des paysages grandioses,
Un western militant au souffle magique !
Une histoire triste à pleurer…de bonheur de lecture !
A lire absolument ! Magistral !
« – Mais à qui appartient cette lumière ? Cette montagne ? Cette terre ? Qui possède cette terre ? Répond à ça vieux cheval. L’homme qui en a le titre de propriété ? L’homme qui la travaille ? L’homme qui l’a volée en dernier ?

Le soleil brillait dans notre dos tandis que nous chevauchions vers la montagne, la montagne de Grand-père, et devant nous nos ombres s’étiraient de manière grotesque […].

– je suis la terre, dit Grand-père. Ca fait soixante-dix ans que je bouffe cette poussière. Qui possède qui ? Il faudra qu’ils me labourent. »

« Les chefs-d’oeuvre ont cela d’immense qu’ils sont éternellement présents aux actes de l’humanité. » écrivait Victor Hugo.

L’Homme des vallées perdues de Jack Schaefer

Shane un mystérieux cavalier solitaire venu de nulle part arrive dans la ferme de Joe et Marian Starrett.

Nous sommes en 1889 dans le Wyoming entre les villes naissantes de Cheyenne et Dodge City.
Aux alentours rôdent encore quelques indiens insoumis quand ils ne sont pas encore parqués.
Fletcher et sa bande sèment la terreur parmi les fermiers.
C’est Bob Starrett, un enfant, qui raconte l’aventure de l’Ouest sauvage et la genèse de l’Amérique.
Et c’est magnifique !

« Il arriva dans notre vallée au cours de l’été 1889. J’étais alors tout gamin et ma tête affleurait à peine le haut des ridelles de la vieille charrette de mon père. »

Wisconsin de Mary-R Ellis

« Je crois que nous devenons rééllement et authentiquement nous-mêmes qu’après notre mort, et encore, quand nous sommes morts depuis des années et des années. Les gens devraient commencer par mourir, ils seraient honnêtes beaucoup plus tôt. » Mark Twain

Wisconsin, état du Middle West des États-Unis. Au nord le lac Supérieur et le Michigan.
« La communauté rurale d’Olina se composait des petits-fils et petites-filles d’immigrants séduits par le miroir aux alouettes qu’avaient brandi le ministère de l’Agriculture et l’Industrie du bois. Quand les nouveaux arrivants avaient découvert un sol appauvri par la déforestation et un climat trop rigoureux pour permettre les cultures à grande échelle, il était trop tard : ils n’avaient plus un sou pour repartir. »

Le petit Bill a huit ans quand son grand frère Jimmy s’engage dans les Marines, direction l’enfer de la guerre du Vietnam.
« Le Vietnam l’obligera à grandir. » lui dit son père.
Jimmy fuit son père alcoolique et violent.
Il ressemble à Elvis Presley et on l’appelle James, comme James Dean son idole.
Bill devra supporter seul les coups.
James lui envoie des lettres du Vietnam : »Bon sang ce que j’ai hâte de rentrer! »
Sur le papier à lettres des taches…Son grand frère avait sûrement pleuré.
Bill lui répond : »Là-bas aussi, il y a des étoiles ? »
Dans la ferme voisine, Ernie et Rosemary seront de précieux refuges.
Tout comme les livres. « Les livres affirmaient que, belle ou laide, la vie avait de la valeur. »
Comment sortir indemne de la fureur éthylique d’un père et de la folie grandissante d’une mère ?

Mary R. Ellis raconte le dur Visconsin caillouteux et l’histoire de deux familles au douloureux passé, au brutal présent, au fébrile futur.
Ici dans les fermes du Wisconsin les gens n’ont pas l’habitude de se parler. « Voilà ce que je ne savais pas : on peut aimer quelqu’un au point de ne pas avoir assez de mots pour l’exprimer. »
Mary R. Ellis raconte l’Amérique d’après-guerre.
Une Amérique qui change.
« Les femmes de mon âge n’ont jamais su ce qu’il fallait faire si leur mariage partait à vau-l’eau. Nous incarnions la nouvelle génération moderne, celle de l’après-guerre. Pour nous la vie de couple n’était pas censée mal se passer. »

Rendons hommage à la traduction impeccable d’Isabelle Maillet.

Ce roman est magnifique !
Mary R. Ellis raconte bien la vie.
Elle raconte un pays, l’Amérique.
Encore sous l’émotion, difficile d’en parler.
Trop tôt.
Faut laisser passer les effets secondaires de la lecture.
Juste vous dire : « Voilà, lisez ce livre ! »

« Mieux vaut vivre avec ses blessures que mourir étouffé dans sa coquille. »